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L’essence du libéralisme

L’essence de la foi chrétienne

Depuis deux siècles, de nombreux auteurs, surtout des allemands, ont tenté de définir l’essence du christianisme, ainsi, Hegel et Feuerbach, du côté des philosophes, Schleiermacher, Harnack et plus récemment Ebeling du côté des théologiens pour s’en tenir à quelques exemples. Depuis vingt siècles, le christianisme a pris toutes sortes de formes. Il a changé, s’est modifié. Des gens très différents s’en sont réclamés et s’y rattachent. Qu’y a-t-il de commun entre Thomas d’Aquin, Torquémada, Servet, le curé d’Ars, Pie XII et Schweitzer ou Martin Luther King ? Qu’est-ce qui permet de qualifier d’église aussi bien la communauté de Jérusalem dont parle le livre des Actes qu’une paroisse réformée de la région parisienne ou d’un village de la brousse africaine ? Etre chrétien signifie-t-il la même chose au premier et au treizième, au seizième et au dix-neuvième siècles ?

Question difficile, on s’en doute, et peut-être insoluble. En 1903, un article magistral du théologien libéral Ernst Troeltsch montrait que tout essai pour définir l’essence de la foi chrétienne ne pouvait aboutir qu’à un résultat aléatoire, défectueux, provisoire et subjectif. En effet, d’une part, la foi chrétienne évolue, change, s’enrichit ou s’appauvrit ; ce ne sera qu’à la fin des temps qu’on pourra, peut-être, dégager ce qui lui donne permanence et continuité. D’autre part, nous sommes situés à un moment précis de l’histoire et toutes nos définitions dépendent du point de vue qui est le nôtre. Celui qui se trouve ailleurs, qui vit à une autre époque, aura forcément une vision différente de la foi chrétienne et de ce qui en constitue l’essence. Nous n’échappons pas à la relativité, quand même nous tentons de cerner la foi chrétienne et l’absolu religieux.

Le protestantisme libéral

La question se pose presque dans les mêmes termes pour le protestantisme libéral. Peut-on le définir et dégager ce qu’ont de commun ceux qui revendiquent ou à qui on attribue cette étiquette ? Dans les colonnes d’Evangile et Liberté ou ailleurs, J.-M. de Bourqueney, L. Gagnebin, P.-J. Ruff, C. Mazel, P. Vassaux, B. Reymond et moi-même nous y sommes essayés (sans compter ceux, qu’ils me pardonnent, que j’ai oubliés). Nous avons tous conscience du caractère subjectif et insatisfaisant de nos essais. Souvent nous ne nous reconnaissons pas dans les propos que l’on tient sur nous et dans les attitudes qu’on nous prête (ainsi dans l’article de R. Hebding, répondant à P.-Y. Ruff, publié par Réforme, qui a donné lieu à un débat dans un de nos numéros de l’été dernier). Chacun a sa définition et on va parfois, ce qui est absurde, jusqu’à exprimer des soupçons sur le libéralisme de tel de nos amis. A la différence d’autres courants du christianisme, nous ne pouvons pas répondre aux interrogations en exigeant l’adhésion à des doctrines, puisque le libéralisme entend affirmer le droit de chacun à être ce qu’il est, sans lui imposer des normes et la signature d’une liste de croyances. Comme l’écrivait Calvin, ce jour-là bien inspiré (il ne l’a pas toujours été), n’introduisons pas “cette tyrannie dans l’Eglise que soit tenu pour hérétique quiconque n’aurait pas répété les formules établies par un autre”. Il ne doit pas y avoir de conformisme ou de conformité libérale.

Quand des gens proches de notre journal me disent : “Nous ne savons pas très bien si nous sommes libéraux, ni ce qu’est le libéralisme”, dans la ligne de ce qu’écrit Troeltsch sur l’essence du christianisme, j’ai envie de leur répondre : “Il n’existe pas d’essence toute faite. Il appartient à chacun de nous, pour sa part, de contribuer à définir ce qu’est le christianisme et ce qu’est le libéralisme. A. Sabatier, C. Wagner, W. Monod, A. Schweitzer, G. Marchal et d’autres nous ont fourni des matériaux précieux. La génération libérale à laquelle j’appartiens a apporté sa contribution. C’est maintenant à vous de le faire, non pas en répétant les anciens ou les aînés, s’il vous plaît, mais en innovant, en inventant votre forme de libéralisme et de christianisme.”

Des questions, pas des réponses

A la question de l’essence du christianisme, Tillich a apporté une réponse que j’aime bien. Etre chrétien, dit-il, ne consiste pas à accepter des doctrines, si estimables soient-elles (elles ne le sont pas toutes), ni à observer des pratiques pieuses (prière, cultes, sacrements) ; ce n’est même pas de croire tout ce que raconte le Nouveau Testament (il comporte bien des pages contestables). Mais c’est ressentir que ce dont parle le Nouveau Testament a une importance décisive dans et pour ma vie. On est chrétien quand on cherche dans l’évangile ce qui donne sens à son existence, même si on se pose des problèmes, si on éprouve des doutes et si on ressent des difficultés.

De même, le libéralisme me semble se définir par des interrogations et des orientations plus que par des réponses ou des positions. Quand on s’arrête de chercher parce qu’on croit avoir trouvé, quand les réponses font disparaître la question, quand la certitude étouffe inquiétudes et insatisfactions, quand on est tellement sûr d’avoir raison qu’on n’écoute plus les autres, alors on cesse d’être libéral, même si ses convictions sont classées “libérales” dans l’éventail ecclésiastique. On est devenu, ce qui nous menace tous, des orthodoxes et des sectaires du libéralisme. Le libéralisme ne peut pas se constituer en “parti”, en coterie ou en clan sans se renier, comme le remarquait récemment le pasteur Philippe Soulier. Il est une démarche, un mouvement et un réseau (encore faut-il faire vivre le réseau, ce que s’efforce de faire Evangile et Liberté).

Alors, plutôt que de nous demander de définir, à partir du passé et du présent, l’essence du libéralisme, aidez-nous à bouger, à avancer, à réfléchir et, avec nous, esquissez le visage -ou quelques traits de la figure- du libéralisme d’aujourd’hui et de demain.

André Gounelle

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