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Devoir d’ingérence : Entretien avec Monsieur Pierre Joxe

1/ L’idée d’un “devoir d’ingérence” s’est développée au cours des vingt dernières années. Où peut-on en trouver l’origine ?

La raison principale du développement de ce concept, c’est que l’on se trouve, depuis la chute du mur de Berlin, devant une situation nouvelle. Dans les crises locales qui naissent ici ou là, la communauté internationale est moins immobilisée que du temps de la guerre froide. A cette époque, toute crise locale risquait de devenir mondiale. Les deux camps se neutralisaient et favorisaient le gel de toute initiative. Pourtant l’opinion internationale se sentait troublée par l’impossibilité d’intervenir en face de ce qu’elle pouvait assimiler à une “non-assistance à personne en danger”. De ce mouvement de l’opinion est né le sentiment d’un devoir et d’un droit d’ingérence.

2/ Qui se trouve mobilisé par un tel devoir : l’individu, la nation, la communauté internationale ?

C’est bien sûr, au premier chef, la communauté internationale qui est mobilisée, cela, même si un nombre croissant d’individus se sentent concernés. Mais ce devoir ne touche en rien la sphère du privé.

Ce qui arrive parfois, c’est que certaines nations, isolées en face de l’indifférence des autres, se mobilisent seules. Exemple, depuis longtemps le Portugal, devant le problème déjà ancien de Timor.

3/ L’application de ce devoir a suscité récemment bien des difficultés. Faut-il en désespérer ou peut-on penser en améliorer et en faciliter l’usage ?

Il ne convient pas seulement de se préoccuper de l’application du devoir d’ingérence, mais de perfectionner le concept lui-même. Partant d’une base éthique qui veut se projeter sur le droit international, on entre en collision avec le droit de la souveraineté. Quelle souveraineté offre-t-on encore aux nations si le droit d’ingérence s’applique ? Quand il y a véritablement anarchie dans un pays, alors ce nouveau droit peut s’exercer.

Cas spécial : le Kosovo. Le concept juridique qui entre en jeu consiste alors dans le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Au moins partiellement, la souveraineté serbe doit s’effacer dans ce cas.

4/ Le déficit de contrôle démocratique s’exerçant sur les décisions de tel ou tel dirigeant de tel ou tel pays n’est-il pas souvent à l’origine de ce devoir d’ingérence de voisins émus par les conséquences de ce déficit ?

Le critère, en l’absence de tout fonctionnement démocratique, c’est le respect des Droits de l’Homme. On entre alors dans le domaine de la criminalité internationale et de la défense des individus contre les abus de certains dictateurs. Le droit d’ingérence est plus facile à exercer quand existe un consensus international dans l’appréciation de cette absence de respect des Droits de l’Homme.

Dans le cas de Timor déjà mentionné, c’est la crainte du détournement de sens d’un référendum admis par l’Indonésie qui a mobilisé l’opinion internationale.

5/ L’appel à l’action résultant de l’évocation de ce devoir d’ingérence peut-il être considéré comme une des avancées morales majeures de la fin du XXe siècle ?

N’oublions pas que l’ingérence a existé depuis des siècles. La problématique a été ainsi posée au XVIe siècle à l’égard des Indiens d’Amérique. On retrouve cette problématique au XVIIIe dans la lutte contre l’esclavage, au XIXe dans la naissance du mouvement philhellène ainsi que dans la mise en cause générale de la colonisation. Ce ne sont que des exemples.

Ce qui est nouveau, c’est que l’on ne se place pas tant sur le plan moral que sur le plan juridique. On a, par exemple, créé des tribunaux internationaux. Ainsi est transposée au niveau international l’idée d’une société organisée dont la vie se déroule sous un contrôle juridique.

Cela est à relier à la pugnacité récemment manifestée par certains juges (affaire Pinochet) qui se saisissent d’une affaire contre un criminel qui se pensait hors d’atteinte. C’est là encore un progrès récent qu’on peut espérer voir s’amplifier au siècle prochain

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