La question à laquelle jaimerais
répondre est celle-ci :
Existe-t-il une logique commune au libéralisme politique
et au libéralisme théologique ? Ce qui impliquerait
donc quun bon protestant libéral devrait
être aussi un défenseur du libéralisme en politique.
Ces deux libéralismes nous libèrent-ils dune
même autorité pesante et sclérosante qui se nomme
lEtat ou lEglise pour la même raison que le centralisme
tue les idées nouvelles et les entreprises nouvelles et donc
aussi les progrès de la société et de la pensée.
Je ne voudrais pas juger le libéralisme en tant que tel,
mais par rapport au christianisme libéral. Avant de proposer
ma réponse, il me semble utile de revenir sur quelques définitions.
Le libéralisme en politique
Jemploierai ce mot pour signifier la doctrine politique qui
prône le libéralisme économique.
Il est fondé sur la liberté individuelle, la liberté
dentreprendre, pourvu que lordre public ne soit pas menacé.
Dans lespace politico-économique libéral, chaque
individu utilise cette liberté pour sassurer le maximum
de gains pour le minimum de peine.
Laxiome du libéralisme consiste à dire quen
raison dun certain ordre de la nature, ces recherches individuelles
du maximum de bénéfices conduisent à lintérêt
général. Cest la fameuse main invisible dAdam
Smith. Cet axiome a été contesté, notamment par
Keyne entre les deux guerres. Keyne a montré la nécessité
de lintervention de lEtat pour que les actions individuelles
conduisent à lintérêt général.
Aujourd'hui, laxiome a repris de la vigueur et prend la forme
suivante avec les ultra-libéraux : vous avez le droit de faire
ce que vous voulez avec largent que vous avez gagné.
Au-delà de la politique il sagit dune nouvelle
théorie de la justice.
Quoi quil en soit, la société libérale
se développe dans un espace social faiblement organisé,
avec une intervention de lEtat la plus faible possible. Le pouvoir
est dévié vers les entreprises et surtout vers le marché.
Et lon voit bien aujourdhui que ce sont les grandes entreprises
qui dirigent le monde.
Le libéralisme en religion
Ce nest pas devant lauditoire de Sète que je
me risquerai à le définir ! Disons seulement quil
repose aussi, et encore plus que le protestantisme ordinaire, sur
la liberté individuelle, mais surtout la liberté de
penser. Il insiste sur la réflexion personnelle, sur le fait
que chacun doit se forger ses propres convictions, sa propre théologie,
sans sobliger à croire ce que les Eglises veulent faire
croire.
Mais une autre caractéristique du libéralisme protestant
est de privilégier lamour du prochain par rapport à
toute construction dogmatique.
Le libéralisme en religion conduit-il au libéralisme
en politique ?
À la différence dune certaine pensée
luthérienne que lon a appelée la doctrine des
deux règnes, la tradition calviniste affirme volontiers que
le domaine spirituel et le domaine temporel ne peuvent pas être
dissociés car on ne peut servir Dieu sans rechercher lutilité
sociale pour ses semblables. Et je cite Calvin lui-même : jamais
un métier ne sera approuvé de Dieu sil ne revient
au profit de tous (Sermon 31 sur les Ephésiens).
Cest ainsi quaprès Max Weber on a souvent souligné
la relation entre le protestantisme et la dynamique économique
des pays. Et lon a soupçonné le protestantisme
d'être à lorigine de lutilitarisme qui peut
se définir ainsi: laction la meilleure est celle qui
procure le plus grand bien pour le plus grand nombre. Nous sommes
bien loin des thèses libérales !.
Quoi quil en soit, si lon admet la thèse suivant
laquelle le protestantisme a favorisé le développement
du capitalisme, doit-on aussi admettre la thèse suivant laquelle
lultra-protestantisme cest-à-dire le libéralisme
en religion, doit favoriser lultra-capitalisme, cest-à-dire
le libéralisme politico-économique ?
Je répondrais volontiers que NON et ceci pour deux raisons
principales :
1 - Dans lorganisation de la cité, la liberté
dentreprendre de lun doit sarrêter là
où celle de lautre est entravée, surtout sil
y a injustice. Laisser linitiative au marché et à
la recherche des plus grands bénéfices induit un type
de société dans laquelle seuls les riches ou les détenteurs
de capitaux peuvent user de cette liberté. Les autres subissent
la liberté de cette minorité que lEtat théoriquement
ne veut pas contrôler.
Et je rappelle une citation du manifeste pour un libéralisme
théologique renouvelé, citation de Lamennais : Quand
il sagit des humbles, cest la loi qui libère et
la liberté qui opprime.
Alors que la liberté de penser ne gène ni nopprime
personne. Si je ne veux pas croire à la Trinité, cela
nempêche nullement ceux qui le veulent dy croire.
Donc la liberté en politique opprime, elle doit être
contrôlée par lEtat. la liberté en religion
nopprime pas, elle ne doit pas être contrôlée
par les églises. Je parle évidemment du domaine de la
pensée.
2 - Quand la recherche des plus grands gains envahit tout lespace
de la société, y compris lespace social ; quand
le pauvre, le faible, le défavorisé ne sont plus dans
les préoccupations de lorganisation de la société,
le pouvoir politique ne joue plus son rôle et le christianisme
(même-pas libéral) na plus quà tirer
la sonnette dalarme.
Nous voyons tous les jours les dangers et les méfaits dune
société de plus en plus structurée autour de
la recherche des plus grands bénéfices. Dans le domaine
social, écologique, alimentaire, international. Les écarts
entre riches et pauvres augmentent. La violence sintroduit partout.
La fracture sociale ne vient pas que de la pauvreté. Elle vient
aussi et surtout de lécart qui se creuse entre riches
et pauvres.
Mais, de plus, nous ne devons pas oublier que le protestantisme
libéral a favorisé le développement du christianisme
social, celui qui milite pour que l'organisation de la société
protège le plus défavorisé.
En conclusion, je ne vois pas comment le christianisme libéral
pourrait, en raison de la liberté de penser qu'il défend,
soutenir une liberté dentreprendre qui va jusqu'à
la suppression progressive des protections sociales et qui na
plus le souci de défendre la cause des plus déshérités
de ce monde.
Henri
Persoz
Journées Evangile et Liberté Sète 16-17 octobre.
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