logo d'Évangile et Liberté

Archives

( liste des articles archivés)

L’Amérique et sa nébuleuse protestante

Il est toujours malaisé de décrire brièvement une situation sociale ou religieuse alors même que nous la découvrons et nous laissons nous absorber par elle. Le cliché, les grandes généralités, les affirmations péremptoires et hâtives menacent toujours devant l’étranger ou dans une situation d’étrangeté. Résultat : vous passez une semaine quelque part et vous commettez un livre. Vous y restez un mois : vous produisez un long article, une année et vous vous contentez d’un petit billet, vous vous y installez à vie et vous n’écrivez plus rien. Il est vrai que la complexité du réel, mise à nu par le temps qui passe, résiste au désir d’en dire le tout, d’en rendre compte tel quel. Alors il faut se contenter de le décrire par bribes, par petites touches qui, associées à tout ce qui ne peut être dit, constituent ce réel qui nous échappe toujours. C’est donc quelques bribes du protestantisme américain que nous présentons ici.

Ce qui, de lui, surprend d’emblée, c’est la profondeur, l’immensité, la puissance de son pluralisme. Le protestantisme épouse toutes ses tendances possibles, du libéralisme le plus osé et insipide au conservatisme le plus farouche et violent et fait entendre un bouillonnement de voix théologiques aux accents, aux langages et aux références les plus discordantes. Il faut le souffle d’un chanteur d’Opéra pour lire d’un trait la rubrique” Église“ dans les pages jaunes de l’annuaire, un souffle qui aura bien du mal à dissiper un sourire devant la bizarrerie de quelques noms : “l’Église du Prince de la Paix“, “l’Église libre du calvaire“, ou bien encore et tout simplement “l’Église chrétienne“. Point ici de Fédération Protestante d’Amérique pour dissiper quelque peu les différences, oser des rapprochements, offrir des voix communes. Le protestantisme américain s’éclate, se répand et se dilue au point de ne plus désigner grand chose d’autre que l’immense nébuleuse spirituelle de tout ce qui est possible lorsque non catholique. Mais hormis cet écueil préjudiciable au repérage de l’identité du protestantisme, le sourire de tout à l’ heure aurait tort de se changer en gros rire moqueur. Car cette diversité écclésiale, conséquence rapide mais vraie du principe de l’universalité du sacerdoce si cher aux Réformateurs, témoigne d’une grande richesse spirituelle et théologique. Cette pluralité révèle concrètement, à qui veut s’en rendre compte, ce fait très simple que Dieu ne se laisse épuiser par rien. Qu’il est bariolé de couleurs, qu’il est une source inépuisable d’imagination spirituelle, une myriade de voix dissonantes mais toujours possibles ensemble. Au delà de la surprise qu’il n’a de cesse de provoquer, le réel protestant américain témoigne, à travers sa forte pluralité, de sa vitalité et de sa créativité.

Ce pluralisme se nourrit sans conteste d’une forte valorisation de la communauté locale. Car c’est bien à force de répondre aux aspirations de l’individu et de prendre en compte ses spécificités, que les communautés religieuses prolifèrent autant.

L’Amérique produit de nouvelles églises à la vitesse de l’éclair, avec une aisance et un sans gêne théologique et institutionnel surprenant, et ce, dès lors que quelque chose manque, ou qu’on décrète que tout doit être différent. S’il est un point commun à l’ensemble de ce protestantisme c’est bien d’être globalement plus congrégationaliste qu’épiscopalien, de privilégier la structure locale au détriment du dispositif synodal. Même les églises dites “épiscopaliennes”ou “méthodistes”qui valorisent pourtant la dimension institutionnelle confèrent au plan local un fort degré décisionnel et d’autonomie. C’est ainsi que presque dans toutes les églises, le pasteur est directement payé par la communauté sur une base salariale décidée par elle et que réside une grande autonomie théologique et liturgique. Le sentiment d’appartenance est ainsi davantage porté sur la communauté que sur l’église à laquelle elle se rattache. Ici, suite à un emménagement dans une nouvelle ville on cherchera d’abord une communauté qui nous plaît et non forcément celle qui fait administrativement partie de l’église du lieu quitté. Et ce aussi parce que la pluralité du protestantisme traverse bon nombre de ses composantes. C’est ainsi par exemple que l’Église Unie du Christ a pendant longtemps valorisé la dimension locale et sciemment refusé de renforcer son dispositif synodal afin de maintenir en son sein une grande diversité théologique et spirituelle. Face à l’individu ou à sa communauté, l’institution compte peu. Sa capacité à fédérer, à rassembler, à promouvoir une identité capable de transcender les micro-identifications individuelles ou communautaires semble bien mince. Mais on ne peut comprendre cela sans, aussi, prendre la mesure exacte de l’immensité du territoire américain. Dans ce pays continent où tout surprend par son gigantisme, la nécessité de s’inscrire dans un réseau à échelle humaine devient vital. Si seul le local compte c’est bien parce que tout le reste est bien trop vaste pour pouvoir être pris en compte. Il faut parcourir l’Amérique d’Est en Ouest, traverser quatre fuseaux horaires, avaler des milliers de miles, oublier le temps, pour sentir l’urgence de s’arrêter quelque part, de s’approprier son lopin de terre.

Le protestantisme américain, et c’est aussi là que réside sa richesse, se caractérise sa force sociologique, masse forcément puissante lorsqu’on la pèse d’un pays du Sud de l’Europe où le protestantisme est ce qu’on en sait. Ici, on va à l’Église. Dans le Middle Ouest ou dans le sud des Etats-Unis, la civilisation demeure paroissiale. L’Église est au rendez-vous de la vie quotidienne. Et ce parfois, diront certains un peu méchamment parce qu’il est le seul rendez-vous. La déflagration des centres-villes, l’éclatement géographique de l’habitat américain, les faibles sollicitations culturelles des villes de tailles moyennes ou petites, valorisent inévitablement l’Église comme un lieu de communauté légitime et nécessaire car soumis à peu de concurrence. Loin des côtes Atlantique et surtout Pacifique, peu de choses baissent le taux de fréquentation du culte : une tempête de neige vraiment sévère ou un match de football américain qui tombe mal, et encore… Si l’Église est présente dans la vie des américains elle l’est aussi largement dans la société. De manière parfois simple et presque symbolique à travers la dissémination sociale de symboles religieux : une croix dans une chambre d’hôpital, une Bible Gédéon dans un motel, une prière à l’ouverture d’une séance parlementaire et de manière parfois plus profonde et percutante dans la capacité qu’ont les églises à faire entendre leur voix sur certains sujets de sociétés tel par exemple l’avortement, l’écologie ou certains faits de guerre. Mais l’importance de l’Église et de son influence, ne saurait pour autant voiler une forme certaine de sécularisme qui touche la plupart des communautés religieuses et en priorité les églises dites plutôt “historiques”, ou “traditionnelles”. C’est ainsi par exemple que l’église méthodiste ou l’Église Unie du Christ ont connu ces dix dernières années une baisse sévère et parfois inquiétante de leurs membres et du nombre de leur Église. Car si l’Amérique est prompte à construire de nouvelles églises elle l’est aussi à les fermer.

Le sol américain est océanique à ciel ouvert. Il est en grande partie le résultat géologique du retrait des eaux de lacs et de mer, assèchement fissurant de vastes et profonds canyons et laissant apparaître quantités de masses rocheuses aux formes et aux couleurs extraordinaires. Associés aux phénomènes d’érosion, à la force de la tectonique des plaques, mais aussi et plus simplement à la diversité des micro-climats, aux jeux de lumière, à l’incessante évolution de la végétation, ce sol océanique offre le spectacle souvent surnaturel d’une nature extrêmement diverse et changeante à vue d’oeil. Exactement à l’image de son protestantisme composé de strates multiples, bariolé de couleurs, foisonnant de tout et de rien, extrêmement dépaysant par sa pluralité et se sachant toujours en mutation. Des bribes de foi qui composent un immense tissu religieux aux contours incertains car semblant perméable à tout.

Raphaël Picon

haut


Accueil

Pour s'abonner

Rédaction

Soumettre un article

Évangile & liberté

Courrier des lecteurs

Ouverture et actualité

Vos questions

Événements

Liens sur le www

Liste des numéros

Index des auteurs

dernier N° complet


Vous pouvez nous écrire vos remarques, vos encouragements, vos questions