Au cur même de lEvangile,
on trouve ce que Péguy appelle les paraboles de lEspérance,
cest-à-dire les paraboles de la Brebis perdue, de la
Drachme perdue et de lEnfant prodigue ; paraboles dans lesquelles
sexprime lespérance que Jésus a mise dans
les hommes et jusque dans les plus déchus dentre eux
: sauver ce qui est perdu, ramener à la vie ceux qui sont morts.
Dans ces paroles brèves que lEvangile a comme enfoncées
dans le cur de lhomme, brille une espérance presque
douloureuse, tant elle est démesurée, hors de proportion
avec ce quose attendre lhumanité moyenne. Cette
gloire unique que les prophètes réservaient au peuple
prédestiné : être une espérance de Dieu,
elle est offerte maintenant au dernier des pécheurs. Offerte
? Non pas seulement offerte, mais donnée, livrée, abandonnée
; que cette espérance soit couronnée ou non dune
victoire, nul ne peut refuser den être lobjet, car
tout homme est appelé à la repentance et toute repentance
est un couronnement dune espérance de Dieu.
Et parce que nul ne peut empêcher que Dieu espère en
lui, nul ne peut non plus renoncer à espérer lui-même
; il ny a pas dabîme de perdition où ne descende
encore cette grâce de lespérance, la première
que le cur naturel de lhomme enlève aux autres
et senlève à lui-même, la dernière
que lEvangile persiste à offrir à quiconque repousse
toutes les autres et refuse dentendre la voix de Jésus-Christ.
Quand lespérance atteint à cette puissance et
cette profondeur, il semble que lon touche comme du doigt son
caractère surnaturel.Il éclate dabord dans son
absoluité même, dans lintrépidité,
dirai-je, avec laquelle elle dépasse les prévisions
de la sagesse humaine.Certes, toute espérance est déjà
un appel à une force supérieure, capable dintroduire
des commencements nouveaux dans notre vie ; mais avec quelle timidité
sexerce en général notre appel à cette
possibilité de renaissance ! Il semble que nous ayons peur
de trop demander et que nous soyons surtout préoccupés
de ne pas trop contredire à lordre de la nature et aux
lois habituelles de la nécessité. Les hommes essayent
volontiers de sauver des flots ceux qui sont tout près de la
rive ; ceux quils veulent amener à la repentance, ce
sont les pécheurs pas trop endurcis, ceux dont il est vraisemblable
que lon puisse encore attendre quelque chose.
Seule lespérance chrétienne ose sadresser
à ceux qui découragent les tentatives les plus persévérantes,
seule elle descend dans la nuit, non pas seulement pour y porter laumône
de la pitié, mais pour y faire briller les trésors de
lespérance, pour y faire entendre la parole dun
renouveau possible, dune résurrection promise à
ceux qui sont morts.
Extraits du livre dAndré-Numa
Bertrand : LEvangile de la Grâce
Editions la Cause.
Le livre LEvangile de la Grâce a
paru en 1934. Il na pas perdu , en 65 ans, de son actualité.Il
mérite quon le lise et quon le médite.
Le pasteur A.N. Bertrand (1876-1946), connu pour son
libéralisme théologique, a marqué le protestantisme
français. Nous nous réjouissons de cette ré-édition.