Depuis de nombreuses
années, jentends régulièrement un de mes
vieux amis, très catholique et fort sympathique, se plaindre
de la disparition, après Vatican 2, de la messe en latin. Elle
avait à ses yeux de grands mérites : elle concrétisait
sa continuité spirituelle avec ses parents et grands parents
puisquil utilisait les mêmes formules liturgiques queux
; il y voyait lavantage (quen fait, il na jamais expérimenté)
de pouvoir suivre dans nimporte quel pays du monde une messe sans
être dépaysé ; et, enfin, le latin lui donnait un
sentiment de sacré et de mystère quil ne retrouvait
pas avec le français. Pour ma part, dans la ligne du protestantisme,
je trouve important que le culte se fasse dans la langue du pays, celle
quon utilise tous les jours et quon comprend facilement.
Mais, en écoutant mon ami et tout en lui exprimant mon désaccord,
je me suis souvent dit : « sil tient tellement à
sa messe en latin, quon ne len prive pas, pourquoi lui faire
de la peine ? »
Le Vatican vient de lexaucer. Dans une lettre apostolique
(quen jargon romain on appelle Motu proprio) du 7 juillet 2007,
Benoît XVI invite à réactiver la messe en latin.
Jécris « réactiver » et non «
autoriser à nouveau», car elle na jamais été
interdite ; elle était seulement déconseillée et
nétait guère célébrée que par
quelques opposants résolus à laggiornamento de lÉglise
catholique. Je ne parle pas, non plus, de la « restaurer »,
car Benoît XVI souligne que la célébration en langue
locale est bien la « forme normale », « ordinaire
», et donc habituelle. Il nentend donc pas rendre au latin
la place quasi-exclusive quil occupait auparavant. De plus le
pape souligne que les deux messes sont, au fond, identiques ; il ne
sagit pas de deux rites différents, mais dun «
double usage » du même rite.
En quoi cette affaire concerne-t-elle les protestants
? Rappelons que leur désaccord majeur ne porte pas sur la langue
de la messe, mais sur ce qui se trouve en son centre, quon la
dise en latin ou en français, à savoir la transsubstantiation
eucharistique (et, sur ce point, cest vrai quil sagit
exactement du même rite). De plus, le pape explique cette réévaluation
du latin dabord par égard envers ceux qui le préfèrent
(mon vieil ami est satisfait, et jen suis content pour lui), ensuite,
par le souci de désamorcer des conflits qui risquent denvenimer
la vie de léglise quil dirige. Il exerce effectivement
sa responsabilité et nous navons pas à nous en mêler.
Ce Motu proprio est interne au catholicisme et ne nous regarde pas directement.
Néanmoins, nous avons deux raisons de nous en inquiéter
:
Dabord, le changement de langue pour la célébration
a été lun des effets les plus frappants et les plus
sensibles (mais pas les plus profonds ni les plus importants) du concile
de Vatican 2. En latténuant, nest-ce pas laspect
novateur de ce concile quon entend émousser, voire effacer
? Les conceptions et mentalités qui dominaient sous Pie XII ne
tentent-elles pas de désamorcer un concile qui a essayé
de leur substituer un autre esprit et des démarches différentes
?
Ensuite, le pape ne donne-t-il pas ici un fort encouragement
aux courants qui souhaitent, plus ou moins, un retour en arrière
? On raconte que de nombreux évêques le craignent et sen
irritent. Or, ces courants, qui ne sont certes pas majoritaires mais
qui semblent prendre de la force, en particulier dans les jeunes générations
de prêtres, se caractérisent par leur hostilité
au protestantisme et au dialogue cuménique (ils ne se privent
pas de la manifester à loccasion, jen ai eu plusieurs
témoignages).
Je nentends pas faire des procès dintention,
ni donner trop dimportance à ce Motu proprio. Mais, après
dautre signes alarmants, comment ne pas sinterroger ?
André
Gounelle