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Actualité cinématographique

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Précédents articles sur un film :

Mary, The constant Gardener, Pour un seul de mes yeux, Le temps qui reste, Trois enterrements, Joyeux Noël, Free Zone, A history of violence, Match Point, Noces funèbres de Tim Burton, L'enfant, Caché, Gabrielle, Broken Flowers, Les Ames grises, Kilomètre zéro, Peindre ou faire l'amour, Les poupées russes, Sommeil amer, Le pont du roi St Louis, Last Days, Kingdom of heaven, Les yeux clairs, The taste of tea , In your hands, De battre mon cœur s'est arrêté , Palindromes, Million Dollar Baby, Va, vis et deviens , Private, Les tortues volent aussi , Moolaadé , La vie aquatique, La Petite Chartreuse , Je préfère qu'on reste amis , Mar Adentro, Le couperet .

Volver
Réalisé par Pedro Almodovar (Espagne), avec Penélope Cruz, Carmen Maura, Lola Dueñas…Prix du scénario au festival de Cannes 2006, durée : 2 h 01.

Ce film n’a pas gagné la Palme d’or du Festival de Cannes mais, parmi les films de la compétition déjà sortis en salles, il pourrait être le plus gros succès non seulement en Espagne mais aussi en France. Il est donc naturel que le visiteur de ce site puisse avoir l’avis du chroniqueur habituel.

Le spectateur fait la connaissance de Raimunda (Pénélope Cruz) personnage central au tempérament de feu prête à tout pour protéger sa fille, de sa sœur Sole (Lola Dueñas) plus effacée, de la tante Paula (Yohana Cobo) murée dans sa douleur et de leur mère (Carmen Maura) morte il y a quelques années mais qui revient faire un tour chez les vivants pour régler quelques comptes avant le repos éternel car dans la Mancha dit-on, le vent prend des vies et parfois les ramène.

Le film est l’histoire de trois générations de femmes racontée dans un village imaginaire (géographiquement celui du réalisateur) où le rapport de ses habitants à la mort est omniprésent. C’est aussi le mélange de la réalité et de la fiction dans lequel un fils a perdu sa mère et souhaite rétablir des liens avec elle. Celle-ci veut aussi profiter de sa « résurrection » pour se faire pardonner et se délivrer ainsi des secrets douloureux qui la rongent.

Ce fils n’est autre que le réalisateur qui dit :"Volver (qui veut dire revenir en castillan) est un titre qui englobe pour moi plusieurs retours. Je suis revenu un peu plus à la comédie. Je suis revenu à l’univers féminin, à la région de la Mancha…Je me suis remis à travailler avec Carmen Maura, dix-sept ans que cela ne nous était pas arrivés (depuis Femmes au bord de la crise de nerfs en 1987), avec Penélope Cruz, Lola Duenas et Chus Lampreave. Je suis revenu à la maternité, comme origine de la vie et de la fiction et tout naturellement, vers ma mère. Revenir vers la Mancha est toujours un retour au sein maternel... J’ai l’impression, et j’espère que ce n’est pas un sentiment passager, que j’ai réussi à emboîter une pièce manquante… Cet élément dont je parle, c’est ‘la mort’, pas seulement la mienne où celle des êtres que j’aime, mais la disparition inéluctable de tout ce qui est vivant. Je n’ai jamais pu ni l’accepter, ni la comprendre… J’ai l’impression avec ce film d’avoir fait un deuil nécessaire, un deuil indolore. J’ai comblé un vide, j’ai pris congé de quelque chose,ma jeunesse (?) que je n’avais pas encore quitté, alors que je devais le faire, je ne sais pas…En dépit de ma condition de non-croyant, j’ai fait venir le personnage de Carmen Maura de l’au-delà. Je l’ai fait parler du ciel, de l’enfer et du purgatoire. Et, je ne suis pas le premier à la découvrir, l’au-delà est ici. L’au-delà est ici bas. L’enfer, le ciel ou le purgatoire, c’est nous, ils sont à l’intérieur de nous, Sartre l’a dit bien mieux que moi".

Pour faire passer son difficile message, Almodovar utilise sa maîtrise habituelle de cinéaste (jeu des acteurs, esthétisme, chants populaires…) et un ton à la fois émouvant et dérisoire en prétextant de l’irréalité de la situation. Le résultat est un film rayonnant qui demande néanmoins beaucoup d’efforts pour saisir tout le sens de cette confession qui suscite beaucoup d’admiration. .

Pierre Nambot

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Un regard sur le festival de Cannes 2006.

Le festival de Cannes reste la manifestation annuelle exceptionnelle et unique pour le cinéphile. Cette année encore ce fut un défilé de films variés et de qualité ; mais au retour j’éprouvais comme les années passées un mélange curieux d’émerveillement et de frustration, (pour n’avoir pas vu tel ou tel film). En plus des projections de la sélection de la Compétition officielle, il y aurait lieu de parler de celles d’Un Certain Regard, de la Quinzaine des réalisateurs, de la Semaine Internationale de la Critique… C’est évidemment impossible aussi vais-je donner mon impression générale en me limitant à la première sélection.

Cette année, la majorité des films sélectionnés ont pour thème la guerre : la lutte d’indépendance en Irlande (Le Vent se lève), le franquisme (Le Labyrinthe de Pan), l’engagement des bataillons magrébins et africains pendant la guerre (Indigènes), la mobilisation pour la guerre d’un fermier (Flandres)…Leur réalisation est certes remarquable mais, pour ma part, j’ai regretté leur trop grand nombre et ainsi que le manque de films traitant des relations individuelles ou collectives.

Wong Kar-waï, le président du jury qui excelle dans ce domaine (In the mood for love en est l’emblème), a décerné la Palme d’Or à un cinéaste aux antipodes de son propre style : Ken Loach avec Le vent se lève : « Nous avons choisi ce film avec le cœur » a-t-il dit, puis « Peut-être si nous disons la vérité sur le passé, pourrons-nous dire la vérité sur le présent ». C’est très louable mais je pense que la conduite de deux frères dans la guerre d’Irlande est émouvante mais manque de réalisme sur la fin ce qui atténue le message du film. Le Grand Prix du Jury donné à Flandres est aussi une surprise car le scénario est plutôt « tiré par les cheveux », par contre Almodovar avec Volver mérite bien le Prix du Scénario et Inarritu celui de la Mise en Scène avec Babel et sans doute mieux pour ce dernier (voir ci-après). En donnant les prix de l’interprétation féminine et masculine à deux groupes (actrices de Volver et acteurs de Indigènes), le jury a confirmé son objectif de satisfaire le maximum de personnes. Ce manque de courage apparent est regrettable car il dévalorise du même coup les réalisateurs et acteurs de talent.

Il me faut revenir sur Babel qui a eu également le prix du Jury oecuménique. C’est un choix qui me touche car je pense que ce film méritait la Palme d’or ! C’est une très grande œuvre tant dans la forme que dans le fond. Il nous montre que dans ce monde où tout s’enchevêtre, la communication est une illusion car subsistent les solitudes, les préjugés, les peurs. Nous en reparlerons au moment de sa parution.

Pierre Nambot

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The Secret Life of Words
Réalisé par Isabel Coixet (Espagne), avec Sarah Polley (Hanna), Tim Robbins (Joseph)…de 2005, durée : 1h52.

Hanna travaille consciencieusement mais vit renfermée sur elle-même, obsédée par la propreté. Elle passe ses vacances sur une plateforme pétrolière dont l’activité est arrêtée suite à un accident. Elle y soigne Josef qui a été grièvement brûlé en voulant sauver une personne. Entre Hanna qui porte un appareil auditif mais le débranche souvent pour se protéger du monde et Joseph qui a perdu momentanément la vue, un lien intime se tisse. Nous apprenons qu’ils sont chacun dépositaire d’un secret qui les écrase et dont ils vont enfin se libérer.

C’est un mélodrame qui se joue dans ce monde métallique flottant et isolé, à la fois protecteur et menaçant pour une poignée d’humains qui doivent trouver jour après jour un mode de socialisation. Le passé hante chacun d’eux, les traumatismes émergent, écorchent et « brûlent » les consciences. La raison est mise à rude épreuve et conduit à des comportements les plus divers: le suicide dans les flammes, la recherche d’un ailleurs, le silence, la confidence.
Tout en évoquant les génocides, Isabel Coixet nous montre le pouvoir libérateur de la parole et la possibilité de chacun à guérir de ses blessures et de ses fautes. Avec talent elle utilise l’humour et la dérision des situations et des dialogues pour souligner avec force les aspects existentiels tragiques riches en émotion. C’est un film difficile qui nécessite du spectateur de la patience pour suivre le chemin que lui fait parcourir la réalisatrice et une lecture attentive au deuxième et même au troisième degré pour en apprécier toute la signification. Il en est en final pleinement récompensé.

Pierre Nambot

C.R.A.Z.Y. Réalisé par c Vallée (Québec), avec Michel Côté, Marc-André Grondin, Danielle Proulx, … durée: 2h05, de 2005.

Le 25 décembre 1960, la famille québécoise Beaulieu compte un enfant de plus : Zachary. Le père un peu bourru mais travailleur, la mère aimante et croyante, sont fiers de leurs cinq garçons. En voix off, Zachary nous raconte qu’il grandit dans la musique, l’humour, la révolte, entouré de ses « abrutis » de frères.

C.R.A.Z.Y. nous transporte dans les années 60 à 80 et nous plonge dans l’univers d’un jeune qui se sent marginalisé et qui est prêt à renier sa personne pour attirer l’attention. Trois thèmes importants sont abordés : l'identité québécoise où se confrontent un passé catholique très pesant et en parallèle une révolution tranquille des mœurs (musique, sexe, éducation), le questionnement sur l'identité masculine dans la société et la place du problème sexuel. Le comportement humain est mis à nu avec tout ce qu’il comporte comme blasphèmes vis-à-vis du christianisme et de l’église catholique qui, dans l’ambiance « sexe drogue et rock », en oublie sa mission et même ses cantiques… Cet environnement n’aide évidemment pas le jeune Zachary à trouver un équilibre même si l’attitude très pieuse et même mystique de la mère fait face à ces débordements. Il se hait et déteste les autres, se complaît à endurer des souffrances christiques en contre partie de ses pensées et de ses attirances.

C.R.A.Z.Y. est une quête de foi et de soi marquée par de bons sentiments. Le style est empreint de fantaisie et d’ironie afin que la société de l’époque, qui se libère de ses carcans, nous paraisse moins sordide.

Un film très intéressant mais dérangeant.

Pierre Nambot

Wassup Rockers (What’s up Rockers ? Quoi de neuf Rockers ?)
De Larry Clark (USA) avec Jonathan Velasquez, Francisco Pedrasa, Minilton Velasquez…de 2005, durée : 1 h 45.

Dans le quartier pauvre de South Central à Los Angeles, les jeunes latino-américains sont à la mode « baggy » (vêtements très amples) comme un signe d’appartenance à un gang. Un groupe de sept adolescents se distingue en portant des pantalons serrés, en se laissant pousser les cheveux et en étant férus de skate-board. Ils ne boivent pas, ne se droguent pas. Ils sont sans histoire, tout simplement exubérants et ne passent pas inaperçus auprès des autres garçons et filles de leur âge. Un jour ils décident d'aller « skater » dans un très beau quartier, le fameux "nine stairs" de Beverly Hills, afin de trouver un terrain de jeu idéal pour exécuter tranquillement quelques figures spéciales de skate-board. Cette décision fait basculer leur vie…

Le film commence sur un style documentaire classique ressemblant à ces reportages télévisuels consacré au skate-board. Le cinéaste restitue assez bien les codes et attitudes de ces rockeurs, désavoués à la fois par les classes aisées et par leur milieu des couches populaires. Larry Clark emmène ensuite ses personnages à Beverly Hills, à la rencontre de filles blanches et riches. Nous vivons alors un cheminement délirant au cours duquel les jeunes passent dans différentes propriétés de milliardaires et sont pris pour des cibles mais aussi des objets sexuels…

Le cinéaste nous montre à quel point la vie de ces adolescents peut être dangereuse parce qu’ils ne sont pas dans la norme : « Vous n’avez rien à faire ici – Parce qu’on est du ghetto ? – Oui ! ». Les pressions exercées sont même plus fortes au sein du ghetto qu’à Beverly Hills ou dans la banlieue. Larry Clark ne cherche pas à en faire des martyrs ou des saints, son propos est de coller au plus près à la réalité.

En déplaçant l’action dans le quartier le plus chic de Los Angelès, le réalisateur confronte deux mondes qui sont, l’un comme l’autre, une jungle faite de violence plus ou moins rentrée, avec des codes strictes, le plus souvent inhumains . Nos adolescents vont apprendre à leurs dépens qu’ils sont, ici aussi, jugés sur leur simple apparence.

Larry Clark est attiré par le monde de l’adolescence. Pour son cinquième film, il met en perspective la misère sociale et la violence gratuite face à la volonté de vivre et à l’insouciance de la jeunesse. Il dénonce l’intolérance, les préjugés et la ghettoïsation grandissante aux Etats Unis, constat alarmant auquel l’Europe n’échappe malheureusement pas !

Pierre Nambot

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Le passager, réalisé par Eric Caravaca (France) avec Julie Depardieu, Eric Caravaca, Vincent Rottiers, mars 2006, Durée : 1h 25.

Thomas (Eric Caravaca) quitte sa famille pour aller reconnaître le cadavre de son frère Richard qui s'est suicidé. Etant maintenant seul, il doit régler les procédures funéraires et administratives ce qui le conduit à retourner dans la petite station balnéaire où il a grandi. Là, plutôt que de s’installer dans sa maison natale, il décide de descendre à l’hôtel car une photo l’amène à penser que cet établissement a un lien avec son frère. Thomas fait la connaissance de Jeanne (Julie Depardieu) et découvre que la jeune femme a partagé la vie de son frère dont elle attend l’improbable retour. Il rencontre Lucas (Vincent Rottiers) qui semble avoir beaucoup aimé Richard. Très vite, une relation quasi filiale se noue entre le jeune garçon et le nouveau venu puis entre celui-ci et Jeanne. Pourtant Thomas ne leur révèle pas son identité, il s’installe dans leur vie et collecte des informations…

Thomas est malgré lui rattrapé par son passé : un père parti, une mère enfermée dans sa douleur, un frère aîné qui faisait la loi. Il n’a pas supporté l’attitude de ce dernier et a rompu toute relation avec lui. Le réalisateur nous présente en gros plan, un personnage sombre, pathétique, toujours pas remis du traumatisme de son adolescence qui le confine dans la rancœur et le paralyse. Il tente de s’approprier une partie de l’univers de son aîné pour s’affirmer, mais en vain. Avant de l’enterrer, il lui faut renouer les liens brisés. C’est à ce prix qu’il réussira à envisager la vie autrement. Ce sera possible grâce à l’aide des autres, celle de la patronne de l'hôtel où il est descendu incognito et de ceux qui l'ont connu enfant : le vieux marchand de journaux et Suzanne, l'amie devenue chanteuse de cabaret.

La mise en scène de Caravaca reste discrète, son style assez dépouillé fait de gros plans contrastant avec des plans très ouverts. La vue de la station balnéaire hors saison, entre la piscine vide et la zone portuaire déserte, le tout plongé dans un climat hivernal peu engageant, constituent des images qui rejoignent celles de l’existence de Thomas présentées fréquemment en flash-back. La même musique tranquille revient souvent en soulignant les moments dramatiques intenses. La narration se fait avec beaucoup de tendresse et les personnages deviennent vite attachants. Caravaca a été à bonne école avec Dupeyron et Chéreau ; le spectateur y retrouve toute la finesse et la subtilité et même une certaine résonance avec le film « Son frère », de ce dernier.

Les interprétations sont excellentes : le réalisateur tient lui-même le rôle de Thomas, personnage mutique, plein d'émotions contenues, Julie Depardieu campe une Jeanne un peu hors du temps, Nathalie Richard est une Suzanne lumineuse qui a su surmonter son drame, Vincent Rottiers joue avec beaucoup de naturel le jeune Lucas, adolescent qui réussit à s'affirmer.

C’est une œuvre remarquable et bouleversante sur les blessures profondes de l’enfance, l’effort surhumain et pudique pour les enfouir sans pouvoir les effacer et sur une nouvelle façon de voir les choses, de faire le deuil.

Un premier film qui laisse entrevoir les qualités cinématographiques exceptionnelles d'Eric Caravaca.

Pierre Nambot

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Le jury œcuménique au 20ème Festival International du Film de Fribourg a décerné son prix à Be With me d’Eric Khoo (Singapour).

Le Festival International de Films de Fribourg (FIFF) est à bien des égards une manifestation cinématographique passionnante. Je l’ai découvert en 2004 et cette année encore j’ai pu apprécier l’accueil, l’organisation et la programmation des films.

L’objectif de ce festival est de développer les réflexions à la fois philosophiques et cinématographiques vis-à-vis des pays du Sud et de l’Asie. Qu’ils viennent du Brésil, d’Iran ou des Philippines, qu’ils soient présentés dans la sélection officielle en compétition ou non, qu’ils soient des fictions ou des documentaires, les films proposés en 2006 évoquent l’évolution complexe du monde au niveau sociologique et politique ainsi que les difficultés de la production du 7ème art. Nous parlerons ici seulement des films qui ont obtenu une ou plusieurs distinctions.

Le Regard d’or a été attribué à Be Ahestegi/ Tout doucement de l’Iranien Maziar Miri qui décrit les tabous sociaux concernant les femmes en Iran. Le prix spécial du jury international revient à Heremias, un film philippin de Lav Diaz qui utilise un langage cinématographique non conventionnel tant dans le style, pour la sauvegarde de la culture nationale originale, que dans la durée (8 heures). Shen Hai/Blue Cha Cha de Cheng Wen-tang, dans lequel l’héroïne est accablée par une destinée qui ne lui laisse pas présager des lendemains meilleurs, a obtenu une mention spéciale. Le prix Oikocredit a été remis à Un matin bonne heure réalisé par Gahité Fofana de Guinée qui raconte les conditions dans lesquelles deux jeunes sont amenés à se cacher dans le train d’atterrissage d’un avion pour émigrer.

Le prix documentaire a été décerné ex-aequo à Taimagura Baachan/ Grand-mère de Taimagura de Yoshihiko Sumikawa (Japon) et à Doust/L’Ami de Sara Rastegar (France/Iran). Très différents par leur facture et leur réalisation, ces deux films relatent une rencontre humaine et poétique avec un personnage symbole de sagesse universelle.

Le jury œcuménique, auquel j’appartenais, a décerné son prix à Be With me d’Eric Khoo (Singapour). Nous nous sommes réjouis de constater qu’il a également été récompensé par le prix de la Fédération Internationale des Cinés Clubs (FICC) et par une mention spéciale du jury international.

Eric Khoo tisse son film autour de trois histoires correspondant à différents moments de la vie : - un vieil épicier peu bavard et plutôt triste est hanté par le souvenir de sa femme, - un agent de sécurité boulimique est amoureux d’une femme qui ne lui a jamais accordé un regard, - une sexagénaire aveugle et sourde souriante et épanouie, - deux adolescentes tentent de vivre ensemble une histoire d’amour.

A l’exception de la sexagénaire, les personnages sont plongés sans raisons apparentes dans la vie solitude des grandes villes et le spleen sentimental. Ils sont en quelque sorte le reflet de la société ultramoderne d’aujourd’hui qui engendre directement ou indirectement de nombreuses situations d’isolement individuel et d’incommunicabilité. A l’inverse, la sexagénaire aurait bien des raisons de ne plus croire en la vie. En effet, affligée non seulement d’un sérieux handicap physique, elle a eu un passé particulièrement difficile. Toutes ces épreuves ne semblent pourtant pas avoir d’emprise sur elle, car elle nous apparaît dotée d’une force intérieure invincible. Avec les moyens limités inhérents à son état, elle est la seule à communiquer avec les autres et son visage rayonne ; elle transcende le film !

Toute en nuances, cette œuvre mêle fiction et réalité car Térésa Chan, aveugle et sourde depuis l’âge de 14 ans, joue son propre rôle. Elle a écrit son autobiographie pour raconter son combat, sa détermination à surmonter ses souffrances afin de venir en aide aux autres et devenir professeur dans une école pour mal voyants. Eric Khoo en a été marqué, il a fait ce film et l’a engagée comme actrice.

Be with me que nous pourrions traduire par « sois à mes côtés », est un brillant message d’amour et d’espoir, une œuvre qui, par son propos essentiel, redonne à la notion d’humanisme sa véritable signification. Il est sorti sur nos écrans en octobre 2005 et nous espérons qu’il sera reprogrammé prochainement ; c’est un film à voir et à revoir !

Pierre Nambot

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A Perfect Day
Réalisé par Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, film franco-germano-libanais avec Ziad Saad, Julia Kassar, Alexandra Kahwagi. Durée : 1 h 28.

Malek est un jeune homme sujet à des pertes de conscience et des apnées du sommeil. Il vit à Beyrouth avec sa mère Claudia qui, depuis 15 ans, n’a toujours pas fait le deuil de son mari disparu, comme 17.000 autres. Il souhaite que sa mère tourne enfin la page et que sa petite amie renoue avec lui, bref il aspire à avoir une vraie vie.

Beyrouth nous est montrée telle qu’elle se présente aujourd’hui : ville morcelée, exhumée de ses débris et reconstruite partiellement à la hâte, embouteillée par les voitures polluantes, envahie par les masses humaines et saturée par les décibels des boîtes de nuit…

Dans cet environnement étouffant, Malek a du mal à se libérer d’un poids dont il ne cerne pas les causes. Son état végétatif n’est-il pas inconsciemment un moyen de ne pas voir la réalité ? De plus il ignore bien des choses, en particulier la guerre qu’il n’a pas connue et que l’omerta ambiante occulte.

Les cinéastes nous plongent dans la situation éprouvante de cette région instable où chacun cherche l’occupation et le divertissement sans pouvoir réfléchir au présent et envisager l’avenir c’est-à-dire un autre jour, « a perfect day ».

Ce film fait penser à celui de Vimukhti Jayasundara, « La Terre abandonnée », magnifique réalisation sur le Sri Lanka déchiré par la guerre civile. Il nous livre ici une belle histoire émouvante sur les douleurs du Liban avec une grande sensibilité et un certain art elliptique. Regrettons que la lenteur du rythme en « élitise » les propos et prive le film de l’audience d’un large public qui pourrait prendre ainsi conscience de ce type de situation.

Pierre Nambot

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L’ivresse du pouvoir, Réalisé par Claude Chabrol avec Isabelle Huppert, François Berléand, Patrick Bruel, Robin Renucci, Maryline Canto, de 2006, durée : 1 h 48.

Jeanne Charmant Killman, juge d'instruction doit instruire une affaire de commissions et de détournements de fonds, un dossier complexe mettant en cause des personnalités dont le président d'un important groupe industriel. Au fur et à mesure de ses investigations, son pouvoir s’accroît sensiblement mais en parallèle sa vie privée se fragilise.

En dépit de l’avertissement sur les ressemblances fortuites avec des personnes et des faits existants, le spectateur constate vite que Chabrol s’inspire directement de l’affaire Elf. Il est facile d’identifier François Berléand à Le Floch-Prigent, Jeanne « Charmant » à Eva « Joly ».

Le cinéaste décrit en détail ce qu’il perçoit des abus pouvoirs tout en montrant les limites d’une juge en proie elle aussi aux mêmes dérives. « L’ivresse du pouvoir » vise à la fois les potentats industriels et les magistrats tout puissants. Le parallèle est saisissant : le président surchargé s’est entouré d’une armée de femmes pour gagner du temps et la juge fait de même avec une armée d’hommes. Le réalisateur montre avec subtilité les nombreuses implications du pouvoir et les transformations qu’elles induisent.

Malheureusement Chabrol n’échappe pas, une fois encore, à sa propension à critiquer de façon outrancière et même fantaisiste certaines franges de notre société : hommes de pouvoir, policiers, gardiens de prison… La mise en scène un peu négligée n’est pas en rapport avec le sujet qui aurait mérité plus d'inspiration et un traitement plus solide et plus sérieux. La narration, qui chez Chabrol prend toujours son temps, est cette fois beaucoup trop lente.

L’interprétation est globalement très réussie. Isabelle Huppert excelle dans ce rôle de femme «parfaite, lisse comme du marbre» et fragile à la fois et François Berléand dans celui d’un homme irritant et pathétique à souhait. Le jeu forcé de Bruel est la seule fausse note.

L’actualité nous a conduit à parler de ce film mais notre appréciation est réservée sur le plan cinématographique ainsi que sur le déroulement des procédures relatées.

Pierre Nambot

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Le Nouveau Monde
Réalisé par Terrence Malick (USA) avec Colin Farrell, Q’Orianka Kicher, Christopher Plummer…De 2005. Durée : 2 h 20.

Au tout début du XVIIème siècle, le continent nord-américain est une terre sauvage infinie, "le Nouveau Monde", sur laquelle vivent de nombreuses tribus. En avril 1607, trois bateaux anglais accostent sur la côte orientale. Ils viennent établir "Jamestown", un avant-poste économique, religieux et culturel. John Smith, jeune officier au tempérament rebelle n’a pas encore idée de la sophistication de l’empire indien auquel il aura à faire. Durant ce round d'observation précédent le choc des civilisations, Smith découvre Pocahontas, une jeune indienne fascinante, un lien si puissant se tisse entre ces deux êtres qu’il en deviendra légendaire.

Le réalisateur a tourné sur place en Virginie, le long du fleuve James, avec des acteurs originaires de cette région, représentant les différentes nations indiennes, parlant l’Algonquin, et sans utiliser volontairement le sous-titrage. Le résultat est d’une beauté à couper le souffle : les reflets de l'eau, la couleur de la terre, des herbes hautes, le soleil à travers les branches, les bruits de la forêt, le bruissement de vent aux cris d’oiseaux rares comme ceux de la perruche de Caroline…

L’histoire de ces premiers pas sur cette terre du Nouveau Monde est scandée par les voix intérieures des personnages : John Smith l’idéaliste, Pocahontas l’indienne et John Rolfe qui amènera cette dernière sur sa terre d’adoption, l’Angleterre laquelle deviendra plus tard son linceul. Malick s'intéresse ici à un mythe celui de la colonisation de l'Amérique et de la fondation d'un état surpuissant édifié sur quelques troncs coupés et plantés dans la boue. Il montre le conflit plus ou moins latent entre deux mondes et cette guerre aussi inévitable qu’absurde avec l'avancée du progrès. L’idée d’un équilibre naturel rompu par la civilisation a été abordée d’une façon analogue et tout aussi complexe par Jean-Jacques Rousseau dans « Le discours sur l’inégalité » et « L’Emile » ainsi que par René de Chateaubriand dans « Voyage en Amérique » où il révèle à ses contemporains européens, les sensations enchanteresses qu’il a éprouvées à travers les immenses forêts du Nouveau Monde, et aussi dans « Le Génie du christianisme »

Malick entreprend un dialogue entre la nature, symbole de pureté et l’homme blanc aux idées corrompues appelé à la souiller. Dieu est ici interpellé afin qu’il donne des explications sur l’absurdité de cette situation. A la différence de Bergman dont la mise en scène est au service d’une observation austère de l’aspect matériel, Malick traque dans les yeux de ses personnages leur quête des cieux, d’une puissance salvatrice. Au final, ce n’est pas le récit qui ordonne les choses du « Monde » mais c’est ce dernier qui prête sens à la vie : le vent dans les feuilles, le murmure de la forêt, le torrent qui coule sur la roche, les oiseaux qui fendent le ciel….

Une œuvre fluide, sublime qui transporte le plus récalcitrant.

Pierre Nambot

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Un couple parfait
Réalisé Nobuhiro Suwa (Japon) avec Valeria Bruno-Tedeschi (Marie), Bruno Todeschini (Nicolas), Nathalie Boutefeu (Esther), Jacques Doillon (Jacques), de 2005, durée 1 h 44.

Marie et Nicolas, des Français qui vivent à Lisbonne, se rendent à Paris pour le mariage d’amis. Ensemble depuis 15 ans, « leur couple parfait » s’effrite : ils ne se parlent presque plus, ne paraissent plus s’apprécier, font lit à part…Ils envisagent de divorcer et le disent à leurs amis très étonnés. Ce séjour à Paris leurs permet de tout mettre à plat. Au cours d’une nuit Nicolas déambule seul dans les rues de la capitale et s’arrête dans un bar. Lorsqu ‘il retrouve Marie, leur conversation s’anime sous l’effet de l’alcool et leurs dernières certitudes se brisent. Vont-ils pouvoir sortir de cette impasse, se reprendre et repartir ensemble.

Pendant 104 minutes, Suwa scrute les deux protagonistes de ce couple en difficulté. Il n’y a pas d’action, pas de conversation, lorsque Marie et Nicolas veulent se dire quelque chose, ils bafouillent, murmurent ou marmonnent. Les personnages sont souvent dans la pénombre, en contre-jour, hors champ comme s’ils n’osaient pas se montrer ou même se rencontrer. Le cinéaste utilise des plans fixes d’une durée inhabituelle et mise en scène très sobre pour susciter une intense émotion, parfois même un malaise. De plus, par leur talent, Valeria Brono-Tedeschi et Bruno Todeschini donnent au spectateur l’impression d’assister à un drame réel.

Nous retrouvons ici le style de Suwa, en particulier celui du film H Story (interrogations sur les possibilités de réaliser aujourd’hui Hiroshima mon amour d’Alain Resnais).

C’est une œuvre particulière, cérébrale et abstraite qui enchantera ceux qui se passionnent pour les études de caractères et la psychologie.

Pierre Nambot

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The King
Réalisé par James Marsh (USA) avec Gael Garcia (Elvis), William Hurt (David Sandow, le pasteur), Pell James ( Malerie Sandow)…de 2005. Durée : 1 h 45.

Elvis, qui vient de terminer son service dans la Navy, part à la recherche de son père qu’il ne connaît pas. Il rencontre le pasteur David Sandow qui, dans le passé, avait eu des relations avec sa mère. Ce dernier a une famille, un fils Paul très croyant qui réfute la théorie de l’évolution de Darwin et une fille de 16 ans, Malérie. Le pasteur ne veut pas revenir sur son passé, il rejette Elvis et lui interdit même de s’approcher de sa maison. Elvis et Malerie tombent amoureux l’un de l’autre. Paul découvre leur liaison et veut protéger sa sœur de cet individu apparemment peu fréquentable. Il menace Elvis mais cela va mal tourner…

L’action se déroule au Texas dans la ville de Corpus Christi, lieu idéal pour traiter du fondamentalisme religieux, des passions, des traditions et des tabous qui font partie de la vie. C’est ainsi que les personnages justifient leurs actes en estimant avoir l’assentiment de Dieu.

Elvis s’attribue une mission qui va le conduire au pire. Progressivement la mise en œuvre du châtiment transforme cette fable en un terrible thriller. Le spectateur suit un drame épouvantable et se trouve déstabilisé par une situation ambiguë où s’entremêlent les actes, la religion, la punition et le jugement définitif. Le pasteur, emblème d’un fondamentaliste religieux américain, impose avec autoritarisme et arrogance sa « bonne foi ». L’exécuteur du châtiment a « une tête d’ange » mais accomplit froidement sa mission…

L’enjeu principal posé par The King est celui du pardon : nos fautes nous seront-elles pardonnées, effacées dès lors que nous les aurons confessées ? La mise en scène est remarquable pour un premier film, malheureusement Marsh brocarde avec maladresse la société texane, la famille idéale et l’intégrisme protestant américain. Il réalise une œuvre dont la perversité domine ce questionnement. C’est don premier film, souhaitons qu’il évite ce type d’écueil la prochaine fois.

Pierre Nambot

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Munich
Réalisé par Steven Spielberg avec Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz, Michael Lonsdale, Mathieu Amalric, Valéria Bruni-Tedeschi, Yavan Attal…de 2005, durée 2 h 35.

Le 5 septembre 1972, aux Jeux Olympiques de Munich, le groupe terroriste palestinien « Septembre Noir » prend en otage 11 membres de la délégation israélienne. L’action, qui se déroule quasiment en direct sur les chaînes de télévision, tourne au carnage et fait 17 morts. Madame Golda Meir, Premier Ministre d’Israël, décide d’appliquer la Loi du Talion et lance l’opération « Colère de Dieu ». Une équipe dirigée par Avner (Eric Bana) est chargée d’éliminer secrètement 11 chefs palestiniens. Cette mission va poser des problèmes non seulement stratégiques mais aussi moraux à son chef.

En portant à l’écran ces événements, Spielberg réalise un grand film hollywoodien à thèse historique. De « La liste de Schindler » à « Amistad » en passant par « Il faut sauver le soldat Ryan », tous les ingrédients habituels d’une machine à visions » sont ici présents. Spielberg est un des plus grands cinéastes d’action de notre temps. La tension monte progressivement avant chaque assassinat et les scènes de violence, cruelles et noires ne nous sont pas épargnées. Il analyse sur le plan psychologique et politique les mécanismes qui poussent les peuples à s’entretuer ainsi que la vulnérabilité des intervenants tourmentés par leurs contradictions. Ainsi Avner est accablé par sa mission, il en sort transfiguré au point d’en être aliéné.

Spielberg ne prend pas position, il renvoie dos à dos les terroristes des deux camps, palestiniens et israéliens, en détruisant au passage le mythe Golda Meir ce qui lui vaut la condamnation du film par certains commentateurs juifs américains. Il nous interpelle sur l’esprit de vengeance qui engendre l’escalade et la politique du pire, le terrorisme.

Réalisateur de grands spectacles, Spielberg sait aussi émouvoir les spectateurs qui dans leur grande majorité se laissent séduire par ce film. Toutefois, il en fait un peu trop, au détriment de l’objectivité. C’est dommage mais c’est du Spielberg !

Pierre Nambot

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Pompoko
Film d’animation réalisé par Isao Takahata (Japon) de 1994, durée 1 h 59.

De petits êtres étranges, les tanukis, vivent paisiblement dans la campagne en bonne compagnie avec les paysans. Ils ressemblent à des blaireaux mais possèdent la faculté de se métamorphoser. Suite à une période de croissance économique importante, le gouvernement japonais décide de supprimer la forêt pour construire la ville de Tama. Voyant leur territoire réduit drastiquement, les tanukis organisent la riposte et utilisent leur pouvoir de transformation pour effrayer les humains en réveillant en eux peurs et superstitions. Les solutions les plus farfelues sont expérimentées par les tanukis.

Le réalisateur met en scène une fable mordante et sarcastique sur des thèmes actuellement essentiels : la nature perd ses droits, les minorités se font discrètes pour subsister, les membres de la majorité sont eux-mêmes de plus en plus oppressés par leur mode de vie… Tout cela se déroule dans un univers très poétique avec, à chaque instant, des drôleries pertinentes. Nous sommes dans un décor féerique constitué de tableaux splendides avec des créatures aussi bienveillantes qu’énigmatiques.

Le spectateur retrouve la beauté du Tombeau des lucioles (du même réalisateur) et regrette que l’homme, dans sa frénétique course au progrès matérialiste, perde son âme en abandonnant le merveilleux.

Si vous voulez vous accorder un moment de rêve, une fois n’est pas coutume, alors allez voir ce film d’animation et emmenez-y les enfants mais pas les tout petits car le film dure près de deux heures !

Pierre Nambot

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Le secret de Brokeback Mountain
Réalisé par Ang Lee, scénario de Larry McMurty, avec Heath Ledger (Ennis), Jake Gyllenhaal (Jack), Michelle Williams (Alma). Durée : 2 h 14. Lion d’or au festival de Venise 2005.

Ennis del Mar et Jack Twist sont engagés pour garder un troupeau de moutons en été, dans les hauteurs de Brokeback Mountain, au cœur du Wyoming. Au fil des jours, ils apprennent à se connaître, s’attachent l’un à l’autre et finissent par vivre une véritable passion. Le travail de gardien terminé, ils se séparent mais l’amour qui les a enflammés ne s’oublie pas…

Ce film est l’adaptation cinématographique de la nouvelle d’Annie Proulx, « Brokeback Mountain », publiée pour la 1ère fois dans le New Yorker en 1999, puis éditée en France chez Grasset. L’action se déroule dans les années 1960-70, après le Maccarthysme, époque caractérisée par un début de libération du comportement des personnes et de la transcription des sentiments ; c’est dans ce contexte que Lee réalise son film.

Le début ne laisse rien présumer de la suite. Dans un décor grandiose, sur fond de montagnes majestueuses, un ciel fascinant aux nuages tourmentés, les deux cow-boys, accomplissent leurs tâches. Un concours de circonstances fait basculer les deux gardiens dans l’ivresse et le malheur d’une passion mutuelle impossible. Ils vont quitter ce paradis terrestre qui « lave les péchés » (les métaphores sont nombreuses), pour un autre décor, celui de l’Amérique profonde, archaïque, pétrie de convictions religieuses. Le souvenir de Brokeback Mountain demeure dans l’esprit de Jack et Ennis et les ronge. Ils en viennent à faire des escapades pour échapper aux traditions et aux règles, pour retrouver les conditions de la 1ère fois, seul instant d’éternité pour eux.

La subtilité et la maîtrise esthétique de Ang Lee donnent un film dont la beauté n’a d’égale que la profondeur des sentiments. La psychologie très fouillée des personnages leur communique une densité et une épaisseur dramatiques. Cet amour entre deux hommes pourrait être le même entre des partenaires de sexe ou d’âge différent. En effet, c’est l’amour absolu, universel, hors de la réalité et du temps. Sous la forme d’un western naturaliste atypique, sans effet visuel particulier, Lee réalise une œuvre pudique et philosophique qui submerge le spectateur bouleversé par tant de détresse humaine. Les séquences finales avec les non-dits, les silences et la retenue des gestes décuplent ce ressenti.

C’est un film exceptionnel, beau, grave et déchirant.

Pierre Nambot

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Good Night and Good Luck
Réalisé par Georges Clooney, avec David Strathain, Robert Downey, Patricia Clarson…de 2005, durée 1 h 33.

L’action se déroule aux Etats-Unis, en 1953-1954, sous la présidence d’Eisenhower qui, bien que conservateur, dénonçait le lobby militaire et industriel et combattait la ségrégation raciale.

Le producteur et réalisateur de l’émission « See it Now » diffusée sur CBS le dimanche soir, Edward Murrow (D. Strathain), traite des problèmes de société, de politique et réalise des interviews de stars. Il termine toujours son émission par « Good Night and Good Luck ». A la suite du licenciement abusif par l’Us Air Force d’un pilote accusé d’être un risque pour la sécurité au prétexte que son père est abonné à une revue communiste, E. Murrow s’empare de ce scandale dans son émission et attaque le sénateur McCarthy, démagogue populiste, obsédé par le communisme. Les réactions ne se font pas attendre…

G. Clooney fait ici un film authentique sur le courage exceptionnel d’un journaliste intègre. Il utilise le noir et blanc manière de prendre de la distance avec les commentaires et de fixer les propos les plus polémistes de l’époque. Il crée une ambiance feutrée qui tranche avec le combat « des requins » dans lequel on ment à voix haute et on chuchote les vérités. C’est un film sur les coulisses d’une rédaction avec des images magnifiques, ciselées par les volutes de la fumée des cigarettes, le tout sur un fond de jazz.

Le réalisateur reste concentré sur l’aspect éthique du sujet : la liberté à tout prix face à un pouvoir tyrannique, y compris face à la presse écrite, radiophonique et télévisuelle, le « quatrième pouvoir ». C’est une leçon pour notre époque, pour le peuple américain. A la différence du cinéaste Michaël Moore, Clooney n’attaque pas violemment Bush mais utilise une méthode bien plus probante : il loue le journaliste E. Murrow et souligne la nécessité d’appliquer le droit et de respecter les autres.

Ce film mérite considération tant pour sa réalisation que pour son éthique.

Pierre Nambot

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