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Ouverture et Actualité

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Actualité cinématographique

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Mary,
Réalisé par Abel Ferrara (USA) avec Juliette Binoche, Forest Witaker, Matthew Modine, Heather Graham… de 2005, durée 1h25.

En quelques plans Abel Ferrara pose d’entrée le problème spirituel qui le préoccupe, voire qui le hante. Marie-Madeleine (Juliette Binoche) pénètre dans le tombeau du Christ et est effrayée de ne pas trouver le corps de son seigneur et maître. Elle rencontre un ange effroyable qui lui demande « Pourquoi cherches-tu les vivants parmi les morts ? » puis le Christ qui disparaît.

En fait la caméra de Ferrara vient de filmer la réalisation d’un épisode de This is my blood, film de Tony Childress (Matthew Modine). Elle nous montre l’envers du décor et l’effervescence qui règne sur le plateau en empilant des plans dans un désordre savamment calculé.

Le tournage de This is my blood est terminé mais Mary Palesi (toujours Juliette Binoche) reste bouleversée par le personnage de Mari-Madeleine qu’elle vient d’interpréter. Elle décide d’abandonner sa vie passée et part pour Jérusalem afin de poursuivre son voyage intérieur et vivre sa foi. Tony rentre à New York et défend son film à une horde de fondamentalistes chrétiens qui n’acceptent pas que l’on évoque les hypothétiques rapports ambigus entre Jésus et Marie-Madeleine. Cela fait penser évidemment à La dernière tentation du Christ et aux ennuis de Martin Scorsese. Parallèlement un journaliste de renom, Ted Younger (Forest Whitaker), présente à la télévision une émission consacrée au christianisme et s’interroge à l’antenne sur le sens de cette religion.

Nous voici face à trois personnages contemporains qui, aux prises avec les contradictions du monde et de leurs vies, tentent de trouver une solution par la foi. Ferrara nous montre toute la distance physique et surtout spirituelle qui sépare Ted et Tony de Mary. Les apparitions de cette dernière font l’objet de séquences très courtes qui s’intercalent entre celles du récit détaillé des deux protagonistes américains ce qui donne au film une puissance intemporelle surprenante. Un événement important va d’ailleurs remettre profondément en cause la conduite de Ted et Tony.

On pouvait craindre un fourre-tout éprouvant mais Ferrara nous surprend du début jusqu’à la fin. Il mixte les questionnement les plus anciens aux réflexions les plus contemporaines et laisse le spectateur se faire une opinion. La prouesse réside dans le fait que l’énigme reste entière et intense et que jamais le réalisateur ne cède à ce sens profond de pureté et de sérieux. Il a conçu son film d’après plusieurs évangiles gnostiques (celui de Philippe découvert en 1945, celui de Marie-Madeleine même…), fait jouer le théologien Yves Leloup qui est interviewé par Ted (il est en faite son double). Il y a quelques années, ce même théologien, après avoir traduit l’évangile de Marie-Madeleine, avait demandé à Juliette Binoche d’incarner celle-ci. Le projet n’a pas pu se faire et c’est plus tard que la comédienne a joué ce rôle à la demande de Ferrara. La sérénité qu’elle transmet à chaque instant est la preuve que ce rôle signifie bien plus pour elle qu’un simple personnage de fiction à interpréter ; sa pratique de la méditation qui lui vaut de fréquents déplacements à Jérusalem y est sans doute pour quelque chose.

Dans le battage médiatique actuel des films commerciaux, Mary n’a pas la « pole » position. Ce film n’en reste pas moins une œuvre exceptionnelle et un événement cinématographique chrétien qu’il faut voir.

Pierre Nambot

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The constant Gardener
Réalisé par Fernando Meirelles (USA), avec Ralph Fiennes, Rachel Weisz, Danny Huston…de 2004, durée 2h08.

Justin Quayle (Ralph Fiennes) est un jeune diplomate détaché en tant que membre du Haut Commissariat Britannique au Kenya. Il est passionnément amoureux de sa femme Tessa (Rachel Weisz) avocate et militante pour les causes humanitaires africaines dont il ignore tout. Lorsque Tessa est assassinée, Justin essaie de comprendre pourquoi et par qui elle l’a été. Il n’aura de cesse de traquer la vérité et d’accomplir le travail de son épouse, en guise de pardon ou plus encore?

Ce film est une adaptation du roman de John Le Carré, écrivain engagé qui dénonce dans ses livres les maux du monde occidental. La réalisation a été laborieuse car le cinéaste a choisi un producteur indépendant (le Britannique Simon Channing Williams) qui ne trouvait pas de financement. Mais en décidant de faire une œuvre modeste, avec les deux principaux acteurs qui acceptèrent un cachet minimal et la notoriété du réalisateur d’origine brésilienne, le film a pu se faire.

Après un début cinématographique fulgurant avec La Cité de Dieu qui fut nommé aux Oscars, Meirelles réalise ici un très grand film. Le cinéaste se distingue par l’utilisation dynamique de la caméra, la mise en scène de la vitalité spécifique des bidonvilles, la narration « éclatée » et la présentation des couleurs africaines qui en comparaison rendent tristes celles de l’Europe. Sa perception aigue et inventive des choses révèle aussi son originalité et son talent. Il juxtapose par exemple en un seul plan la misère des Africains et l’opulence des Blancs installés en Afrique ; cela fait frémir !

C’est une histoire morale et mystique, notamment sur la fin, qui nous est présentée sous la forme d’un thriller captivant. Meirelles porte un regard sans concession sur l’exploitation des Africains par les Occidentaux. Comme toutes les œuvres politiquement engagées, nous pouvons regretter que certains procédés (pauses dans le déroulement de l’action par des discours indignés et des à-coups visuels) rappellent trop ceux du racolage polémiste. Il n’en reste pas moins que c’est un film important à voir pour la beauté des paysages africains et la profondeur de son humanité.

Pierre Nambot

Pour un seul de mes yeux
Réalisé par D’Avi Mograbi (Israël), sélectionné hors compétition au Festival de Cannes 2005, durée 1 h 40.

Les fêtes de fin d’année approchent et comme d’habitude nous souhaitons à tous les hommes de vivre en paix et heureux. Nos pensées vont vers le Moyen Orient et les cinéphiles se souviennent de ce dernier film du cinéaste israélien Mograbi.

Il s’agit d’un documentaire engagé sur la situation en Israël et en Palestine, l’occupation militaire et l’Intifada, la religion et la politique, la colonisation et les attentats. Le spectateur reconnaîtra dans le titre du film une citation de Samson, personnage biblique qui invoqua Dieu pour avoir la force de se venger, au moins « pour un seul de ses yeux ». Samson anéantit ses ennemis mais périt lui aussi sous les décombres du temple. Mograbi nous rappelle également que les juifs de Massada préférèrent se tuer que de se livrer aux assiégeants romains. Le cinéaste réalise son œuvre avec une perspective et un décalage temporel passionnants : il filme des touristes israéliens dans leur rapport à l’Histoire du « pays » et se fait filmer en conversation visiophonique avec un Palestinien vivant dans « la misère des territoires ». Le cinéaste joue de son statut de citoyen pour harceler les militaires sur le droit et le non-droit de leur mission.

L’accumulation anarchique des paroles constitue un recueil historique de réflexions relatives à la tragédie palestinienne, au questionnement sur la démocratie et une critique des médias qui présentent trop souvent le contexte de façon réductrice et manichéenne.

Finalement le film illustre le paradoxe de la situation actuelle, la cause palestinienne étant proche de celle pour laquelle les juifs se sont battus dans le passé : le droit de vivre pour chacun dans la liberté et la paix !

Le dire et le montrer comme le fait Mograbi, savoir qu’il n’est pas le seul, semble être un espoir prometteur. C’est le souhait que je fais.

Pierre Nambot

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Le temps qui reste
Réalisé par François Ozon, avec Jeanne Moreau, Melvil Poupaud, Daniel Duval, Veleria Bruni-Tedeschi…De 2005. Durée 1h25.

Romain (Melvil Poupaud), trentenaire dans la force de l’âge, est atteint d’un cancer foudroyant. Il écarte sans hésitation la solution d’un traitement lourd dont la réussite est plus qu’hypothétique et décide de passer « le temps qui lui reste » à se réconcilier avec lui-même et à ne pas à être regretté par les autres. C’est une tâche bien difficile dont le spectateur va suivre les péripéties.

Sa grand-mère (Jeanne Moreau) est la seule à connaître son état. Elle est dans une situation qui présente des analogies avec celles de Romain : distance prise par rapport à la famille, indépendance et franc-parler, rapprochement avec la mort car très âgée. Leur séparation et la scène d’adieux constituent un des points forts du film. Ozon donne une force exceptionnelle à la dernière rencontre de ces survivants, les acteurs sont bouleversants.

La suite manque un peu d’originalité, les clichés trop nombreux, Melvil Poupaud pas toujours convaincant dans ses accès de violence et de déprime, flash-back pas toujours opportuns. Les derniers plans de la fin sont par contre exceptionnels et peuvent être cités sans priver les futurs spectateurs de leurs effets : étendu sur le sable, il se revoit encore enfant, la plage se vide, le soleil se couche et disparaît : c’est fini, la boucle est bouclée !

Les spectateurs qui ont vu Sous le sable de ce même réalisateur, vont immédiatement faire le parallèle. Dans le premier cas, c’est le refus d’accepter et de vivre la mort de l’autre. Ici, il faut gérer sa propre mort. Ozon aborde ce difficile et terrible sujet avec finesse et sans excès en mettant en scène un personnage qui s’interroge et nous interpelle sur des questions telles que : Comment vit-on quand on sait qu’on va mourir ? Quelles décisions doit-on prendre ? Quelles sensations éprouve-t-on ?

C’est donc un mélodrame initiatique sur l’acceptation de sa propre finitude. Il peut nous laisser dubitatif pour au moins deux raisons : de la part d’Ozon nous pouvions nous attendre à un film plus élaboré sur le plan psychologique notamment et c’est un film centré sur la disparition de la « chair » qui conduit au désespoir. C’est pourtant un film à voir pour les réflexions et les discussions qu’il suscite que nous soyons croyants ou non.

Pierre Nambot

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Trois enterrements,
Réalisé par Tommy Lee Jones avec lui-même (Peter Perkins), Barry Pepper (Mike Norton), Julio César Cedillo (Melquiades Estrada), Dwight Yoakman (Belmont)…Durée: 1 h 57.

Melquiades Estrada, mexicain, travaille clandestinement dans un ranch du Texas. Il est tué et enterré précipitamment dans un cimetière public. Son ami, Peter Perkins n’admet pas que la police renonce à ouvrir une enquête. Il traque le meurtrier et l’oblige à faire un long voyage vers le Mexique afin de donner à Estrada la sépulture qu’il lui avait promise.

Trois enterrements n’est pas un western même s’il en possède les caractéristiques habituelles (rapport à l’espace, au territoire, à la nature somptueuse…) mais c’est un film sur la rédemption, qui pourrait se dérouler n’importe où.

La 1ère partie traite de la société moderne empreinte de lâcheté et de corruption d’où l’accumulation de tensions et de conflits. Le réalisateur utilise les caricatures et les séquences désordonnées pour traduire cette situation. La suite, au contraire linéaire et lisse, se déroule dans un décor naturel impressionnant où la rudesse peut faire couler beaucoup de sang. Ici, l’homme est au centre avec les valeurs ancestrales de l’Ouest : honneur, pardon, rédemption. La musique vient couronner le tout pour en accentuer la sensibilité.

Au moment où la frontière mexicaine est l’objet de sombres projets américains (construction d’un mur), Tommy Lee Jones n’hésite pas à mettre en lumière l’amitié, la tolérance et la compréhension de ceux qui y vivent de part et d’autre. Il a bénéficié du concours de l’excellent scénariste mexicain Guillermo Arriaga (auteur du somptueux 21 grammes). Pour son 1er film, Lee Jones fait preuve d’une très grande maîtrise de la caméra en filmant les immenses contrées rocailleuses et désertiques, les rivières vivifiantes… Nous pouvons seulement regretter qu’il utilise quelques clichés archaïques, et des scènes décalées et récurrentes.

Un film toutefois intéressant pour ceux qui ne recherchent pas systématiquement l’aventure ou le western.

Pierre Nambot

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Joyeux Noël
Réalisé par Christian Carion avec Diane Krüger, Guillaume Canet, Benno Fürman, Dany Boon…Durée: 1 h 55

En 1914, lorsque la guerre surgit, elle emporte dans son tourbillon des millions d'hommes. Arrive Noël avec un événement impensable: les combattants vont laisser leur fusil pour souhaiter "Joyeux Noël" à ceux d'en face en échangeant cigarettes, chocolat, boissons…

Il ne s'agit pas d'une fiction naïve mais d'une histoire qui a vraiment eu lieu. Les faibles moyens du réalisateur ne l'ont pas empêché de conter avec force ces actes de fraternisation entre adversaires. A travers l'aide de camp merveilleusement incarné par Dany Boon, Carion nous place au cœur du film: l'horreur et l'absurdité de la guerre opposées à la paix décidée par les combattants eux-mêmes au milieu des victimes du champ de bataille. Le spectateur est surpris et impressionné par cette ambiance mystique qui surgit quand les armes sont mises à terre pour célébrer Noël. C'est donc un film d'espérance qui nous est donné, un film chrétien qui démontre par les faits que l'impossible est possible.

Il faut beaucoup de courage à Carion pour parler de fraternité et d'amitié entre les peuples ennemis dans le monde contemporain. Après Une hirondelle a fait le printemps, il récidive dans la narration au premier degré, ce qui l'expose aux railleries des critiques institutionnels. Il ose également donner une place importante au christianisme alors qu'il est plutôt de bon temps dans le monde cinématographique actuel de ne pas l'évoquer.

Gageons que ce film aura beaucoup de succès et que le verdict populaire ne tiendra pas compte de ces critiques pour ne retenir que la dignité avec laquelle il parle de paix et d'humanité.

Pierre Nambot

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Free Zone
Réalisé par Amos Gitaï (Israël) avec Natalie Portman, Hanna Laslo, Hiam Abbas, …, 2005, durée: 1 h 30.

Une Américaine, Rebecca (Natalie Portman), se précipite en larmes dans la voiture d'Hannah (Hanna Laslo), une Israélienne qui va en Jordanie, dans la Free Zone, pour y récupérer une somme d'argent. Rebecca, qui veut à tout prix quitter Israël, arrive à convaincre Hannah de l'emmener avec elle. Dans leur périple, elles rencontrent une palestinienne, Leila (Hiam Abbas) qui se joint à elles.

Gitaï nous invite à voyager avec ces trois femmes comme si nous étions dans un véhicule militaire qui parcourt le front: postes frontières, contrôles musclés…Après avoir fouillé les racines d'Israël, le cinéaste se penche sur les frontières et les pays voisins. Les barrières physiques et mentales, qui existent non seulement entre les sociétés mais aussi à l'intérieur de chacune d’elles, divisent le Moyen-Orient. Le cinéaste estime que pour combattre les conflits et la haine, il n'est pas nécessaire de se concentrer sur des grandes idées mais de s'attacher tout simplement au quotidien qui réunit les gens, c'est le cas dans «Free Zone».

Le film est un road-movie sur les langues, les pays, les peuples ; c’est une métaphore du conflit israélo-palestinien à travers les trois femmes : une américaine chrétienne, une israélienne, une palestinienne. Malheureusement, ce thème majeur n’est pas analysé en profondeur : l'ensemble plutôt documentaire et anecdotique, manque de densité. Gitaï donne au spectateur l'impression de se perdre dans l'espace et dans le temps avec pour résultat un certain flou. L'épilogue en palabre est assez cocasse mais creux.

La situation décrite de l'impossible réconciliation manque de conviction, toutefois le travail musical, le jeu des trois artistes et la découverte des liens entre les personnages, améliorent sensiblement la qualité du film.

Comme Gitaï a réalisé d'excellents films, faisons preuve d’indulgence à propos de «Free Zone» et encourageons le à aller plus loin la prochaine fois.

Pierre Nambot

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A history of violence,
Réalisé par David Cronenberg (U.S.A.), avec Viggo Mortenser, Maria Bello, Wimmiam Hurt, Ed Harris…Sélection officielle Cannes 2005. Durée: 1 h 35.

Une famille américaine du Middle-west, très unie, mène une vie paisible. Le père, Tom Stall (Viggo Mortenser) tient un "dîner" (petit bar-restaurant), la mère Edie (Maria Bello) est avocate et les enfants sont charmants. Un jour, deux malfrats arrivent au "dîner" pour faire un casse, Tom se métamorphose, riposte aux assaillants et les tue. Tom est présenté à la télévision comme un héros particulièrement habile. Cela attire d'autres malfrats qui voient en lui le dénommé Joey Cusak, frère de Richie Cusack, le chef de la mafia de Philadelphie. Dès lors un suspens s'établit sur la véritable identité de Tom. Est-il un bon père de famille ou un ancien criminel qui aurait refait sa vie?

A history of violence se lit au second degré car, contrairement à ce que laisse supposer le titre, ce n'est pas un film qui présente la violence pour elle-même, mais qui analyse la façon dont elle peut être gérée en situation urgente et extrême. Cronenberg nous montre que le processus de construction identitaire est par nature inconstant: nous ne pouvons pas lui échapper. Le réalisateur passe au crible les pulsions et les fantasmes ancrés dans l'homme où ils suivent des chemins mentaux impalpables, obscurs, donc souvent incompréhensibles. Tel un démon, la violence est un mal qui s'immisce dans l'âme et la chair.

Tom en est victime, mais il apparaît comme un personnage christique qui expie et rachète ses fautes; la scène finale est celle de la rédemption. Pour lever toute ambiguïté, Cronenberg nous donne des repères précis : la croix, la démarche baptismale au bord du lac…

De part sa réalisation, le jeu des acteurs et le sujet traité, ce film est un chef d'œuvre qui aurait mérité une distinction au festival de Cannes, fut ce celle du jury œcuménique. La violence, une réalité bien dommageable de notre société, aurait-elle dissuadé les jurés ?

Pierre Nambot

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Match Point,
Réalisé par Woody Allen (USA) avec Scarlett Johansson, Jonathan Rys Meyers, Emily Mortmer…Durée: 2 h 03.

Depuis une dizaine d'année, Woody Allen nous propose des films assez lénifiants et faussement guillerets. Match Point signe un renouveau inattendu.

Chris Wilton (Jonathan Rhys Meyers), un tennisman professionnel, sympathise avec un riche fils d'une grande famille bourgeoise londonienne, Tom Hewitt (Matthew Goode) et épouse sa sœur Chloé (Emily Mortimer). Chris jeune et ambitieux a une chance inouïe et connaît une ascension sociale fulgurante. Les choses se compliquent quand il tombe éperdument amoureux de l'ex-amie de Tom, Nola Rice (Scarlett Johansson), actrice sans avenir, à qui la chance ne sourit pas du tout. Cette liaison intense et houleuse va contrarier les plans de Chris et le drame survient lorsque Nola est enceinte et veut qu'il divorce et se marie avec elle.

Avec une grande efficacité et un certain cynisme, Allen fait une analyse critique de la grande bourgeoisie britannique où le conformisme assure la cohésion. Rys Meyers campe avec assurance un personnage qui fait penser à Julien Sorel (arriviste rompu aux codes sociaux dans Le Rouge et le Noir) et aux héros névrosés de Dostoïevski et ce n'est pas un hasard s'il est champion de tennis! En lui comme en tout être humain, le mal se tapie et la lutte pour lui échapper est perdue d'avance surtout, comme ici, lorsque l'intelligence vacille devant la passion.

C'est un film bien construit autour des différents rapports qu'entretient Chris. Ces rapports tissent une toile qui se tend progressivement et se déchire brusquement, nous gratifiant d'une conclusion imprévisible sur le destin et la culpabilité. Woody Allen a changé de style mais le fond brille par l'absence de morale: la vie serait comme une partie de tennis, une question de hasard et de chance où la bonté n'a pas sa place. Ce n'est plus la jubilation ironique habituelle, c'est un profond désespoir.

Pierre Nambot

Noces funèbres de Tim Burton
Film d'animation réalisé par Tim Burton en collaboration avec Michael Johnson et les voix de Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Emily Watson. Durée: 1 h 15.

Une famille de riches parvenus et une famille aristocratique désargentée décident de marier leurs enfants, Victor et Victoria. Victor, tête en l'air, a des difficultés à réciter les vœux. Honteux et effrayé par le cérémonial du mariage, il part dans les bois pour s'exercer. Par un pur hasard, il réveille une jeune mariée défunte et va se trouver pris entre le monde des vivants et celui des morts.

Tim Burton se sert d'une symbolique histoire d'amour pour exprimer la noirceur de la société qui l'a marqué dès son enfance. Il oppose les vivants avec leur culture bureaucratique et répressive et le territoire des morts qui représente le côté créatif. Il a vécu en contact avec une communauté hispanique qui célébrait la fête des morts dans la joie et le divertissement; pour lui "le royaume des morts ne devrait en aucun cas évoquer l'enfer". Par contre il reste marqué par la vie aseptisée et conformiste de Burbank, banlieue de Los Angeles, où il avait l'impression que même en plein jour, il était "dans la nuit des morts vivants".

Ce qui intéresse en fait Burton, c'est de savoir comment traiter les névroses de l'enfance et même de l'adolescence, occasionnées par le carcan sociétal. Il aborde aussi l'incompréhension entre les parents et les enfants et, à travers l'attitude effrayante d'un prêtre, il s'en prend à l'Eglise en l'accusant de jouer sur la culpabilité et la peur et de délaisser la spiritualité. Pour lui il faut faire une part importante aux rêves sans oublier les responsabilités qu'il faut assumer dans la société.

Son film manque un peu de relief psychologique et l'abandon de son style habituel en se rapprochant de celui de L'étrange Noël de M. Jack produit il y a plus de 10 ans, peuvent en décevoir quelques uns. Néanmoins son ingéniosité est toujours de mise car il n'est pas donné à beaucoup d'enchanter la mort en ces temps de formatage idéologique où seules doivent exister beauté et jeunesse. Il utilise la bonne vieille technique "stop-motion" (animation image par image avec des marionnettes) au lieu de l'animation par ordinateur ce qui donne un résultat époustouflant.

C'est une réussite artistique indéniable qu'il faut aussi voir pour son originalité.

Pierre Nambot

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Film : " L'enfant ", Réalisateurs: Luc et Jean-Pierre Dardenne, avec Jérémie Rémier, Déborah François, Jérémie Segard, Olivier Gourmet. Durée: 1 h 35.

La vue d'un landau fait immédiatement penser à son occupant et au bonheur que ce dernier va engendrer. Dans leur film, les frères Dardenne nous amènent sur un chemin bien différent, c'est même l'inverse qui se produit: le bébé va être la cause d'un drame. C'est une inhabituelle dans la société occidentale. Dans un premier temps le bébé est considéré comme une marchandise et devient l'objet d'un troc. L'auteur de cette terrifiante transaction est le père, Bruno. Mais qui est donc cet individu pour échanger son enfant pour une importante somme d'argent et qui s'étonne ensuite du désarroi de sa compagne révoltée: "Qu'est-ce que je t'ai fait? …Nous en ferons un autre!".

Ce géniteur est lui-même un enfant qui ne sait pas encore qu'un être n'est pas un objet! Il est trop jeune pour savoir en quoi consiste la responsabilité paternelle et à fortiori pour l'exercer. Ce qui intéresse Bruno c'est de vivre librement au jour le jour et de s'adonner à la course effrénée à la possession interprétée vécue comme la révélation de sa place dans le monde. Avec ce sujet pourtant fictionnel, Le spectateur est saisi par ce qui se joue et pense avec effroi au délabrement de la société occidentale obsédée par l'acquisition de biens matériels, en rupture avec la paternité et la construction de la vie à deux. Cette situation va tout de même avoir ses limites: la vie de Bruno sera un vrai chemin de croix, il va renaître et connaître la rédemption.

Finalement le film avec ses personnages christiques nous donne comme horizon la Bonne Nouvelle! A ne pas manquer!

Pierre Nambot

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Film : «Caché», de Michaël Haneke avec Daniel Auteuil, Juliette Binoche, Maurice Bénichou, Annie Girardot, …Durée 1 h 55.

À Cannes 2005: prix de la mise en scène, prix du jury œcuménique, prix FIPRESCI .

Une brave famille bourgeoise vit au calme dans une petite maison rénovée et confortable comme on en trouve quelquefois dans Paris. Georges (Daniel Auteuil) travaille comme journaliste littéraire à la télévision, son épouse (Juliette Binoche) est dans une maison d'édition; ils ont un fils encore adolescent, Pierrot. Leur vie est partagée entre un conformisme bourgeois et des idées, voire des indignations sociales. Bref, il s'agit de gentils bobos parisiens!

Un jour ils reçoivent une cassette vidéo sur laquelle apparaît leur maison filmée de l'extérieur en plan fixe et les quelques mouvements d'entrées et sorties. Il n'y a rien d'impressionnant mais cela paraît interminable et une certaine inquiétude naît dans la tête du spectateur. Au fil des jours, les cassettes s'empilent et la panique s'installe dans ce couple qui se sent épié sans savoir qui est derrière ça et pour quelle raison. Des dessins d'enfants morbides vont aussi leurs parvenir…

Michaël Haneke nous a habitué à la problématique liée à l'image et aux difficultés de la communication de notre époque qui creusent le fossé entre les uns et les autres. Ici le mal qui rôde a transpercé le rempart des certitudes de ces deux nantis pour poser un regard sur la vacuité de leur quotidien. Paradoxalement, Georges, vedette des médias (un clone de Bernard Pivot) n'accepte pas qu'on le filme. Pourtant il est traqué, y compris dans ses racines familiales, et le spectateur devient complice de ce voyeurisme.

Le film est aussi une façon de traiter de la nature de la vérité et de montrer que le monde est exposé à une sorte de barbarie diffuse qui atteint même les milieux du savoir et de la culture. Toute la question est de connaître les raisons de ce harcèlement clandestin et angoissant à moins qu'il s'agisse tout simplement de mettre à nu la conscience de Georges et de nous montrer qu'il faut gérer sa propre culpabilité même si les difficultés sont grandes et accompagnées de souffrance. Peut-être que Haneke, fils d'une actrice catholique et d'un metteur en scène protestant, a voulu aussi nous dire que Dieu était dans son film, mais caché, "hors champ".

Un film à voir par tous car ceux et celles qui ne feront pas la lecture au 2ème ou 3ème degré apprécieront le thriller!

Pierre Nambot

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Film : «Gabrielle», Réalisé par Patrice Chéreau, avec: Isabelle Huppert, Pascal Greggory, Claudia Coli… Durée: 1 h 30.

Un homme descend du train. Il rentre dans sa somptueuse demeure au centre de Paris, élégant et fier au point d'être arrogant. Nous sommes en 1912, notre homme, Jean Hervey (Pascal Greggory) accueille chaque jeudi avec sa femme Gabrielle (Isabelle Hupert), la crème de la mondanité. La bonne société s'amuse, les mots d'esprit fusent souvent accompagnés de piques. L'ambiance se veut gaie mais elle est malgré tout tendue car le risque de perdre la face est grand.

Dans le luxe et la "grande pompe", Jean et Gabrielle paraissent passer des jours tranquilles et suffisants. Un séisme va pourtant bientôt frapper leur couple et révéler un désarroi profond. Gabrielle part un matin en laissant une courte lettre. Elle revient le soir même mais Jean a pris connaissance de la lettre. Il a fait le point avec lui-même et sur les dix ans finalement passés sans amour. C'est un vrai calvaire et sa douleur est d'autant plus grande que son amour éclate au retour de la dame! Pourquoi est-elle revenue? Que va-t-il faire?

C'est la clé de ce film adapté d'une nouvelle (Le Retour) du polonais Joseph Conrad. Le carcan des conventions bourgeoises de l'époque plonge Jean et Gabrielle dans l'impossibilité de se retrouver et vivre ensemble. La femme, à force d'attendre d'être aimée autrement que comme un objet d'art, se dessèche et se ferme, l'homme brisé s'effondre. Ce problème, pour lequel la situation peut s'inverser, est hélas bien d'actualité; seules les raisons sociétales ont changé.

Ce film est un chef-d'œuvre sur le plan de la réalisation. La lumière, le passage du noir et blanc à la brillance des couleurs nous font vivre des compositions picturales dans lesquelles Pascal Greggory et Isabelle Huppert apparaissent avec un incroyable talent. La musique symphonique de Coran Bregovic empoigne sans ménagement le spectateur et les protagonistes et accentue le mutisme de cette liaison née d'un malentendu. La modernité du film est éclatante et la douleur intérieure belle et forte, d'ailleurs peut-être trop de modernité et trop de force pour ceux et celles qui ne veulent pas ou ne peuvent pas faire l'effort d'affronter ce drame. Il y a du lyrisme viscontien mêlé à une analyse introspective d'un Bergman mais avec ce dernier, une grande différence sous l'angle théologique: Dieu ici n'est pas présent ou même "hors champ", il est tout simplement absent!

C'est un film difficile mais à voir surtout pour ceux qui s'intéressent à la vie du couple et se passionnent pour les aspects psychologiques..

Pierre Nambot

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Film : «Broken Flowers», Réalisé par Jim Jarmush (USA) avec Bill Murray, Jeffrey Wright, Sharon Stone, Jessica Lange, Julie Delpy…Durée 1h 45.

Une lettre anonyme vient déranger le confort tranquille de Don Johnstson, un quinquagénaire casanier, en révélant l'existence d'un fils conçu il y a 20 ans. Son sympathique voisin passionné d'enquêtes policières le sort de sa léthargie et le lance dans une recherche qui l'amène à rencontrer ses ex-maîtresses.

Le film raconte le voyage initiatique de cet ancien Don Juan fragile, peut-être même dépressif, en manque d'une filiation. C'est une quête d'amour et une lutte passagère contre l'individualisme et la platitude.

Jarmush s'amuse et use abondamment de repères pour faire avancer cette démarche existentielle (machine à écrire, couleur rose…) mais au lieu de constituer un fil conducteur, cette prolifération de signes donne tellement de sens qu'il n'y en a plus. Cette comédie farfelue est assez séduisante par sa poésie et son humanisme avec le fait de donner et recevoir. Le réalisateur n'arrive pas à maintenir le niveau émotionnel du début et son propos sur la société américaine a ses limites, il aurait gagné à le rendre plus incisif. L'humour décalé et le romantisme doux-amer et plein de charme l'ont sans doute emporté dans l'attribution du Grand Prix au Festival de Cannes 2005.

Pierre Nambot

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Film : «Les Ames grises», Réalisé par Yves Angelo (France) avec Jean-Pierre Marielle, Jacques Villeret, Denis Podalydes, Marina Hands. Durée: 1 h 46.

C'est l'hiver, Lysia arrive dans un village situé à quelques kilomètres de la ligne de front de la "Grande Guerre". Elle remplace l'instituteur devenu fou et loge dans une dépendance du château du procureur. Tout près, un infanticide a lieu. Interviennent alors des personnages inquiétants: le procureur cynique et secret (J-P Marielle), le juge Mierk méchant et répugnant (J. Villeret) un policier anonyme et pusillanime (Denis Podalydès), le Colonnel Marziev cruel et sadique.

Tout se passe dans une atmosphère de grisaille sans joie, sans amour, sans même aucun sentiment, les hommes impassibles sont comme pris dans une folie intérieure. Ils sont loin des tranchées mais ils font preuve de monstruosité, jugeant tout et chacun dans une totale impunité. A l'opposé apparaît le douceur des femmes innocentes et pour certaines d'entre elles, victimes.

Le film d'Angelo, adapté d'un roman de Philippe Claudel est un concentré bouleversant de noirceur et de mélancolie. Il nous montre aucune image du front mais nous nous rendons compte de l'horreur de la guerre et comme si cela ne suffisait pas, un village dans la souffrance et l'injustice. C'est la détresse dont le symbole est le procureur. La fin laisse entrevoir de l'espoir en la vie et l'amour mais c'est effleuré et donc insuffisant pour chasser le cauchemar qui a gagné le spectateur. C'est dommage car le film est excellent sur le plan cinématographique (les interprétations, les plans, la lumière) et cela lui aurait donné un équilibre et un sens positif. A déconseiller aux âmes fragiles et déprimées!

Pierre Nambot

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Film : «Kilomètre zéro», Réalisateur Hiner Sallem, film Irak/France de 1h36. Interprètes: Nazmi Kirik, Belcim Bilgim.

Nous sommes en Irak, en 1988, au moment où Saddam veut s'imposer à son voisin iranien. Mais le grand timonier moustachu en profite pour débarrasser son pays du peuple kurde. Celui-ci est considéré comme une sous-population bonne pour les charniers, au mieux pour la chair à canon.

Arko, jeune Kurdistan iranien vit reclus dans un village de montagne avec sa famille. Au cours d'une rafle il est enrôlé de force. Il se voit ensuite confier une mission inattendue: ramener la dépouille d'un soldat dans sa famille. Il va traverser le pays avec un chauffeur arabe mais ne peut pas s'entendre avec lui. Ils sont comme tous les Kurdes et les Arabes: actuellement sur de mauvaises voies, ils devront un jour ou l'autre et malgré eux, repartir à zéro.

Ce qui est un drame se mue en fable étonnamment drôle: pérégrinations géographiques, facéties, situations ubuesques. L'odyssée de ce cercueil dans un pays désolé et dévasté par la guerre semble être le prélude d'un effondrement à venir.

Hiner Salem a pris comme point de départ l'histoire de son frère mais il domine son propre désespoir en mettant son énergie et son enthousiasme à l'autodérision. Son style à la fois tragique et comique, nous le retrouvons dans Vive la Mariée et la libération du Kurdistan, Vodka Lemon, fait penser à celui de Kusturica. Il y a bien quelques scènes dont la naïveté peut nuire, surtout à la fin, mais l'ensemble bénéficie d'un ton baroque assez réjouissant et d'une énergie communicative et mobilisatrice.

 

Pierre Nambot

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