Penser la foi

 

Penser la foi, tel est le titre d’un livre d’André Gounelle. Cet intitulé me semble de la plus haute importance pour dire et redire un point central du protestantisme libéral. Albert Schweitzer (1875-1965) a écrit : « Dès ma jeunesse, j’ai eu la conviction que toute vérité religieuse doit, en dernière analyse, s’imposer également à l’esprit comme une vérité nécessaire. » Dans une telle perspective, comment articuler ensemble la foi et la pensée, la foi et le raisonnement ou la réflexion ?

Il me semble nécessaire de procéder à un double dépassement.

Premièrement, il me paraît indispensable de vivre un dépassement de la raison vers la foi et non pas par la foi. Dans la préface qu’il donne en 1787 à la deuxième édition de son livre majeur La critique de la raison pure, Kant, philosophe protestant allemand, écrit : « J’ai donc dû dépasser le savoir pour lui substituer le croire. » L’irrationnel n’est pas contre le rationnel. Ce dernier le postule et y conduit, y aboutit. Il y a là un dépassement dans un cheminement où c’est la raison qui reconnaît ses limites, voire qui reconnaît un mystère. C’est la pensée qui opère cette démarche. Il ne s’agit pas alors de la négation de la réflexion au profit d’une foi aveugle. La foi et même le mysticisme ne sont pas une capitulation de la réflexion, mais son accomplissement, son épanouissement. Albert Schweitzer écrit encore : « Dès ma jeunesse, j’ai eu la conviction que toute réflexion qui va jusqu’au bout de ses conclusions finit en mysticisme. » Dans une introduction au trésor religieux de l’Inde qu’est la Bhagavad-Gîta, je trouve ces mots qui disent excellemment cela : l’expérience mystique utilise « la raison, la logique et le bon sens jusqu’où ils peuvent aller et ensuite les dépasse ».

Il ne me déplaît pas que le Dalaï-lama ait insisté en 1999 dans Le Dalaï-lama parle de Jésus sur le fait que « l’intelligence est très importante dans le cheminement spirituel ». Il va même jusqu’à affirmer que la foi doit être fondée sur un « raisonnement solide » ; et il précise : « Selon une sentence tibétaine, une personne dont la foi n’est pas enracinée dans la raison ressemble à un torrent que l’on peut diriger n’importe où. »

Mais penser la foi ne signifie pas qu’elle doive se traduire avant tout par des doctrines. Adolf von Harnack, historien protestant allemand des origines du christianisme, publie en 1900 un livre au retentissement considérable : L’essence du christianisme. Il y propose en fait un autre dépassement, tout aussi décisif. « L’essence du christianisme » réside pour lui dans le cœur de l’Évangile qui n’est pas principalement d’ordre doctrinal, mais à trouver dans une vie et une pratique. Or les premiers théologiens chrétiens ont peu à peu substitué des dogmes à une dimension concrète et pratique de l’Évangile. D’après l’évangile de Jean (13,35), Jésus affirme : « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples. » C’est à l’amour et non pas à des doctrines, des dogmes, des confessions de foi, des catéchismes… Sur ce point central, un protestantisme libéral et un christianisme social, qui insistent l’un et l’autre sur une pratique plutôt que sur des croyances d’ordre doctrinal, mènent un même combat.

Ainsi, si l’esprit postule son propre dépassement vers la foi, il s’agit de vivre aussi un autre dépassement, tout aussi capital, celui des doctrines, pour retrouver l’essence du christianisme qui correspond d’abord à une pratique.

Pour aller plus loin : André Gounelle, Penser la foi. Pour un libéralisme évangélique, Paris, Van Dieren Éditeur, 2006, 154 pages. Adolf von Harnack, L’essence du christianisme. Texte et débats, Genève, Labor et Fides, 2015, 378 pages.

 

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À propos Laurent Gagnebin

docteur en théologie, a été pasteur de l'Église réformée de France, Paris ( Oratoire et Foyer de l'Âme ) Professeur à la Faculté protestante de théologie.Il a présidé l’Association Évangile et Liberte et a été directeur de la rédaction du mensuel Évangile et liberté pendant 10 ans. Auteur d'une vingtaine de livres.

Un commentaire

  1. ym.cornud@orange.fr'

    merci avant tout à Laurent Gagnebin pour l’article « penser la foi »; il a permis à un groupe d’amis un peu « écartelés »…. comme moi entre la foi « d’avant », orthodoxe dans son enseignement et si apaisante par rapport à la conception du « poids » de la prière et une conception dite libérale de la foi que le pasteur Pierre Fath a introduite chez nous: et votre article que j’ai photocopié et envoyé avant notre prochaine rencontre; merci ; Mireille Cornud Peyron

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