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Trois caractéristiques de la spiritualité des réformés

 

clavairoly-fabian-1Le rabbi Israël de Rijine racontait à ses élèves : « Lorsque mon maître le Baal Chem Tov se trouvait confronté à une grave question ou qu’un malheur se tramait contre le peuple juif et qu’il n’entrevoyait pas de solution, il allait se recueillir dans la forêt, il s’installait dans un coin particulier, y faisait du feu, toujours d’une certaine manière, disait une prière et cela l’aidait beaucoup. Chaque fois, le miracle se produisait et le peuple était sauvé. » Une génération plus tard, son élève le Maguid de Mézéritch était aussi confronté à de graves problèmes. Se souvenant de ce que faisait son maître, il se rendait dans la forêt. Il ne savait plus comment faire du feu, mais il disait : « Seigneur, je ne sais plus comment faire ce feu mais je sais encore la prière » et alors le miracle s’accomplissait. À la génération d’après, le rabbi Moshe Lev de Sassov, lui, allait dans la forêt, il ne savait pas faire de feu, ne connaissait plus la prière, mais disait : « je connais l’endroit, cela devrait suffire », et le miracle s’accomplissait. Puis ce fut au tour de rabbi Israël de Rijine d’être confronté à un grand problème. Il s’assit dans son fauteuil, prit sa tête entre ses mains et dit : « Quant à moi Seigneur, je ne sais pas où se trouve la forêt, je ne sais pas faire de feu, je ne connais ni la prière ni son intention. Tout ce que je sais faire, c’est raconter cette histoire, cela devrait suffire… » Et alors le Seigneur entendit cette prière, et un miracle se produisit.

Bien qu’elle soit juive, nombreux sont les protestants qui pourraient s’identifier à cette histoire, que Victor Malka relate dans son ouvrage Petites étincelles de sagesse juive (Albin Michel, 2007). Elle illustre la diversité du rapport à la spiritualité qui existe au sein de notre tradition et son évolution. À notre époque, il est possible de dire du protestant à la fois qu’il a une relation individuelle avec son Dieu mais tout aussi légitimement que la spiritualité protestante peut se vivre dans la non-spiritualité. Les Églises issues de la Réforme ont largement tendance à insister sur les dimensions théologiques, sociales et culturelles de la Réforme, au point qu’on a parfois oublié leur caractère spirituel. Aujourd’hui encore, sans doute par crainte des excès spiritualistes, la foi réformée se caractérise par une forme de discrétion, voire de pudeur. La demande est pourtant bien présente. Certains s’interrogent sur la place que peut prendre la spiritualité dans leur vie : quels exemples, quels modèles, quelles expériences et pratiques sont légitimes ? Le terme de spiritualité est bien dans l’air du temps : en recouvrant plusieurs réalités, il plaît en ce qu’il épouse facilement les attentes de nos contemporains en s’adaptant parfaitement au flou qui parfois les caractérise. D’une manière générale, on observe quand même des convergences dans les demandes qui sont adressées aux Églises, à la fois par ceux qui se trouvent « sur le seuil » et ceux qui les fréquentent régulièrement, à travers trois formes d’interpellations

Une interpellation en rapport au temps

Devant l’accélération de nos modes de vie, la pression ressentie dans le cadre professionnel et l’omniprésence de l’information, le constat que « le temps s’est accéléré » est vécu comme une souffrance. Quels moments dans nos vies permettent de s’arrêter, de faire une halte ? La spiritualité se pose alors comme la possibilité de se mettre à l’écoute de soi pour éventuellement se mettre à l’écoute de l’Autre.

Une interpellation en rapport à l’argent

En se situant dans le domaine de la gratuité, la spiritualité habite un lieu rare d’où le rapport marchand est absent. À une époque où tout se monnaye, elle offre une place où chacun peut se sentir librement invité, quel que soit son statut.

Une interpellation en rapport à la relation

Au carrefour de la vie communautaire et de la vie intérieure et alors que la solitude est vécue comme un échec, la spiritualité permet de penser le rapport à soi-même et aux autres. Elle est aussi un moment qui peut faire advenir la rencontre par le dialogue : dialogue avec soi, avec les autres et avec Dieu.

À travers les trois faces de ce prisme, l’Église est questionnée sur sa capacité à répondre à des attentes précises formulées par nos contemporains. Y arrive-t-elle ? Péniblement, car nous sommes aujourd’hui « dans la difficile situation de l’homme en quête de spiritualité qui se trouve placé entre d’un côté le commandement de prière, et de l’autre une réalité qui, pour des raisons sociologiques et même théologiques, l’empêche d’y arriver » (Jacques Ellul, L’impossible prière, Le Centurion, Paris, 1971).

J’observe aujourd’hui trois formes de spiritualités, spécifiques à la foi réformée, qui peuvent répondre aux attentes exprimées.

1- Une spiritualité de la Parole

La spécificité de la foi protestante est l’attention portée à la prédication. L’interprétation de la Bible constitue l’élément central du culte et répond encore aujourd’hui à une demande forte qu’il ne faut pas négliger. La formation des pasteurs et des nombreux laïcs qui s’engagent dans l’Église est centrale, et n’est pas uniquement liée à la pratique dominicale. Elle se décline dans les activités de la communauté locale jusque dans le travail avec la jeunesse, qui vise à la formation d’esprits libres et critiques envers le texte biblique.

2- Une spiritualité de la musique

Dès les débuts de la Réforme, la musique et le chant ont pris une place importante dans le projet de renouvellement de la pratique religieuse en raison de leurs vertus pédagogiques. L’idée que la foi naît de ce que l’on entend permet une mise en valeur de la Parole qui se déploie à travers le diptyque singen und sagen (chanter et dire) : le chant et la prédication se répondent alors avec le même souci de louange, d’édification et de connaissance de l’Écriture, tout en gardant un ancrage dans la vie quotidienne des fidèles, notamment au travers de mélodies populaires. À nous de faire vivre cette tradition d’une musique qui fait sens autant qu’elle plaît.

3- Une spiritualité mondaine incarnée dans le réel

Au contraire de la culture grecque qui valorisait la contemplation et voyait le travail comme une déchéance, la tradition biblique lui donne une valeur anthropologique. L’homme est créé, comme le dit Calvin, « pour faire quelque chose » et, en assurant un ordre qui sert la vie de tous, pour prolonger l’action créatrice de Dieu. L’activité familiale, professionnelle, quotidienne est perçue comme une vocation divine. En citant Paul qui parle de sacrifice vivant dans son épître aux Romains, Calvin affirme même que le sacrifice de la messe, dans le culte réformé, s’accomplit dans le sacrifice de l’existence tout entière comprise comme une « hostie ». La messe véritable pour Calvin étant donc la vie ordinaire, la vie quotidienne du chrétien est offerte à Dieu.

Discerner la réalité d’une demande de vie spirituelle dans nos communautés est un des défis auxquels l’Église est aujourd’hui confrontée. Qu’à la fois la Parole, la musique et notre manière de donner du sens à la vie quotidienne nous permettent d’aller à la rencontre de celles et ceux qui en cherchent un.

Qu’à tous ceux qui ne savent pas où se trouve la forêt, ne savent pas faire de feu, ne connaissent ni la prière ni son intention, nous soyons capables de raconter une histoire, cela devrait suffire… :

 

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À propos Fabian Clavairoly

est pasteur de l’Église réformée du Bouclier à Strasbourg.

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