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Le bon Dieu sans concession, Raphaël Picon rédacteur en chef d’Evangile et liberté

A l’occasion de la journée d’hommage à Raphaël Picon, organisée à la faculté de théologie protestante de Paris, le lundi 11 avril 2016

The Dial fut la revue des Transcendantalistes entre 1840 et 1844, ce mouvement apparu aux Etats-Unis, qui était un forum pour des idées nouvelles au sujet de thèmes variés. Raphaël Picon dira de ses membres, dont Ralph Waldo Emerson était une figure fondatrice, qu’ils souhaitaient s’affranchir des modes de pensées, se libérer des conventions du passé et faire éclater leur créativité. Ils désiraient cultiver leur vérité intérieure qu’ils estimaient transcendée par une énergie divine, une puissance de renouvellement qui secoue les systèmes de pensée, les idées reçues, les modes de vies.

Raphaël Picon fut rédacteur en chef de la revue Evangile et liberté, le mensuel du protestantisme libéral dont nous avons fêté le centenaire il y a quelques années. Il le fut pendant une dizaine d’années pendant lesquelles il a été profondément animé par cet esprit qui soufflait au sein des Transcendantalistes. Il s’agissait, pour lui aussi, « d’exprimer l’esprit qui élève l’humain à un niveau supérieur ». Comment cela s’est réalisé ?

  1. Ni de l’Eglise, ni du monde, mais dans l’Eglise et donc dans le monde

Je dirai tout d’abord le positionnement de Raphaël à l’égard du monde et de l’Eglise, cette institution qui était à la fois son employeur et l’un de ses lieux de prédilection en paraphrasant l’évangile de Jean : il n’était ni de l’Eglise, ni du monde, mais il était dans l’Eglise et donc dans le monde. L’Eglise ne pouvait se réduire à sa dimension institutionnelle, de même qu’il ne pouvait pas envisager de se contenter du rôle de ministre de l’Eglise réformée de France puis de l’Eglise protestante unie de France. Son positionnement par rapport à l’Eglise ne peut se comprendre que dans une lecture en creux du mensuel Evangile et liberté, dans ce qui n’y était pas publié ou, pour être plus précis, ce qui n’y était plus publié lorsqu’il fut en responsabilité. Il mit fin aux attaques inutiles contre le « 47 rue de Clichy », siège à la fois de l’Eglise réformée et de la Fédération protestante de France. La ligne éditoriale qu’il imprima, quoi que délibérément critique, s’évertuait à refuser les textes agressifs, bileux, chargés de rancœur, qui faisaient porter à d’autres les mal-être personnel des auteurs. Il n’était pas question que le mensuel devienne un défouloir. Il voulait que ce soit une revue théologique, qui ne cède pas aux effets de mode, qui propose des réflexions sérieuses, c’est-à-dire exigeantes, pour tous et non pour une poignée de sélectionnés.

Son Eglise était bien plus large que le protestantisme français, elle était bien plus large que le protestantisme et que le christianisme, d’ailleurs. L’Eglise, c’était le monde… le monde des idées, le monde des amours, le monde des possibles, le monde du génie propre, le monde de la confiance en soi. Plus que le monde, la nature était sa patrie, au sens où en parle Emerson.

  1. L’ouverture

Cela me conduit au deuxième point que j’aborde : l’ouverture. Raphaël a produit d’incessants efforts pour ouvrir le mensuel à ses véritables dimensions. Si le directeur de la rédaction, Laurent Gagnebin avec qui il faisait tandem, avait l’obsession du nombre d’abonnés, Raphaël avait en ligne de mire le champ varié des possibles. A la manière de la revue des Transcendantalistes, il s’agissait de toucher à tout, aussi bien aux timbres postaux à l’effigie de Johnny Halliday, qu’au Tour de France, aux discours de Charles de Gaulle, à la question du pardon, à l’accueil des étrangers, la conjugalité et puis Dieu. Dieu. Il n’utilisait pas de périphrases, ni d’autres mots tel que « l’Eternel ». C’était Dieu, sans détour, sans concession ! Dieu et le discours sur Dieu, la théologie, était à l’œuvre pour toute chose, pour tout sujet, parce que tout méritait d’être contemplé et pensé à la fois. Et, par conséquent, toute chose pouvait avoir sa place dans Evangile et liberté, le Père Noël, le football, une photo, des photos, beaucoup de photos qu’il choisissait avec notre concepteur graphique Patrick van Dieren.

Son ouverture allait jusqu’au libéralisme et s’est accentuée encore l’an dernier, lorsque s’est opérée une mutation d’un mensuel du protestantisme libéral à un mensuel protestant pour promouvoir les théologies libérales, ouvrant systématiquement nos colonnes à des non protestants. Le désir était de penser large pour que la foi des lecteurs ne soit pas rabougrie, mais qu’elle se nourrisse de tout ce qui fait la vie.

  1. Théologie libéral

Le troisième point que j’aborderai est justement relatif à cette théologie libérale. S’il fut rédacteur en chef d’Evangile et liberté, il fut aussi mon vice préféré, vice-président de l’association du même nom, le mouvement du protestantisme libéral. Cela indique son caractère militant et le souci qu’il avait de porter les idées au-delà d’un cercle d’initiés.

Je vous fait part de ce qu’il considérait être les quatre critères d’une théologie libérale.

  1. L’usage de la raison. Croire, c’est comprendre ce que l’on croit. Cela supposait que tout ce qui relève de la foi doit être intelligible. A vrai dire, nous avons eu quelques discussions animées à ce sujet, en comité de rédaction, sur la question du niveau de langage. Si nous étions quelques uns à trouver que le mensuel était parfois un peu trop intellectualisant, un peu trop abstrait pour la plupart des paroissiens et plus encore pour des non-connaisseurs, Raphaël enfourchait l’honneur du protestantisme qui avait remis la lecture personnelle à l’ordre du jour et qu’il n’était pas question de baisser le niveau de langage. Si le désaccord a persisté et ne sera sans doute jamais réglé au sein de la rédaction, il n’en est pas moins vrai que Raphaël avait à cœur d’offrir à tous les moyens de penser la foi.
  2. Refus de l’esprit d’orthodoxie. Il rejetait les attitudes surplombantes et normatives en théologie. Il se méfiait des discours qui qualifiaient ou disqualifiaient à partir de critères prédéterminés et immuables. Une théologie libérale devait, selon lui, être une pensée de l’inépuisable : une pensée qui s’accepte comme une pensée limitée car elle reconnaît son référent, Dieu, référent précisément ultime, qui lui échappe. Comme il écrivait : « le Dieu insoumis à nos dogmes et nos institutions met à l’aventure nos certitudes à son sujet. »
  3. Usage de la critique. La critique permet d’apprécier la distance entre Dieu et ses représentations, entre Dieu et ceux qui veulent en être ses représentants. La critique met en cause les intermédiaires entre Dieu et les humains pour rappeler la primauté de la rencontre directe avec Dieu. Raphaël insistait sur la critique éthique qui dénonce, sans concession pour ce qui le concernait, ce qui dévalorise l’humain au nom du sacré.
  4. Pluralité. Pluralité des points de vue, des confessions de foi, des expressions dogmatiques, des pratiques religieuses, des formes de vie, des cultures. Cette pluralité est comprise comme la plus grande fidélité qui soit à un Dieu qui se révèle de bien des manières et qui se révèle ailleurs, dans d’autres religions. Raphaël aimait à dire que la pluralité religieuse atteste que Dieu est aussi le Dieu des autres et qu’il n’est, à ce titre, la propriété de personne.

Raphaël Picon ne voulait pas que la théologie sente le rance, il ne voulait pas que la vie sente le moisi. En étant rédacteur en chef d’Evangile et liberté, il s’est employé à cela en offrant aux lecteurs, mois après mois, des numéros dans lequel il y a avait de la matière pour que chacun ait le désir et les moyens de rendre le monde encore plus jouissif.

Les lecteurs lui en sont reconnaissants. Le comité de rédaction lui est redevable d’avoir si bien servi l’Evangile en toute liberté.

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À propos James Woody

Pasteur de l'Église protestante unie de France à Montpellier et président d'Évangile et liberté, l'Association protestante libérale.

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