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Lutter contre (tous) les fanatismes

Francisco de Goya : Duel au garrot . Madrid, Musée national du Prado. Photo Wikimedia Commons

Francisco de Goya : Duel au garrot . Madrid, Musée national du Prado. Photo Wikimedia Commons

Évoquer aujourd’hui le fanatisme résonne évidemment de manière particulière. Notre société est en pleine émotion et, je l’espère, réflexion sur cette question, à la suite des tragiques événements des mois de janvier, février, et novembre. Paris, Copenhague. Mais il faut ajouter immédiatement que nous avons parfois la mémoire courte : juillet 2011, c’était hier… un homme, en Norvège, Anders Breivik fait 77 morts et 151 blessés. Au nom de quoi le fait-il ? Au nom de qui le fait-il ? Au nom de Dieu évidemment et au nom d’une prétendue civilisation chrétienne… Le fanatisme consiste à instrumentaliser Dieu, « à prononcer son nom de manière abusive » (Ex 20), pour dominer l’autre parce qu’il nous gêne. Dire « Dieu est grand » est louable. Toutes nos religions le disent. Calvin, grand Réformateur, et Ignace de Loyola, fondateur des Jésuites, qui s’étaient croisés sur les bancs du collège Montaigu à Paris dans les années 1520, en avaient même fait leurs devises. Pour Calvin : « Soli Deo Gloria » (« À Dieu seul la gloire »). Pour Ignace de Loyola « Ad majorem Dei gloriam » (« Pour une plus grande gloire de Dieu »). Mais invoquer la grandeur de Dieu pour tuer, c’est insulter Dieu, c’est renier les deux premiers commandements sur lesquels tous les croyants devraient être d’accord.

 Trois types de fanatisme

Le fanatisme, nous devons tous le combattre, par tous les moyens. Mais il existe à mon sens une différenciation des fanatismes. Tout d’abord, le fanatisme actif, celui du passage à l’acte ; le plus dangereux, le plus terroriste. Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur les mécanismes psychologiques et sociaux qui mènent quelqu’un à basculer du côté obscur de ce fanatisme. Il y aurait beaucoup à dire sur les identités fragiles de celles et ceux qui aujourd’hui épousent les thèses et les actions des mouvements terroristes. Les terroristes d’aujourd’hui sont d’abord des cas individuels à traiter.

Mais hélas, il nous faut aussi dire que ce passage à l’acte s’est nourri d’un deuxième fanatisme, théorique et militant. Celui-ci a toujours existé, mais il explose aujourd’hui avec Internet, qui a peut-être libéré la parole d’une façon générale, mais aussi la parole la plus meurtrière et la plus abrutie… L’islam en est d’ailleurs victime : 95 % des musulmans s’opposent à la tendance radicale qui représente pourtant plus de 80 % de la communication sur le net. Les réseaux antisémites (parfois sous prétexte « d’humour ») fleurissent aussi comme jamais. Ce fanatisme théorique se construit comme une identité en opposition, comme un rejet. Cela peut être contre la modernité. On parlera alors de « traditionalisme » : « C’était tellement mieux hier, voire avant-hier. » Cette opposition peut aussi être contre les autres convictions ou les autres personnes. On parlera alors « d’intégrisme » : « Je détiens l’intégrité de la Vérité. » Lorsque nous, protestants, réduisons notre identité à une forme d’opposition au catholicisme par exemple, nous risquons ce fanatisme-là. Certains fanatiques catholiques, heureusement minoritaires, nous le rendent bien d’ailleurs.

Mais ce fanatisme théorique, parfois très construit, imprègne souvent nos inconscients et crée en nous une troisième forme de fanatisme : le fanatisme « passif ». L’autre jour, un homme, indigné comme nous tous par la profanation d’un cimetière juif a eu, sans doute de manière inconsciente, et donc passive, cette phrase malheureuse (je cite) : « On ne fait pas des choses comme cela, que ce soit un cimetière juif, maghrébin ou français… ». On entend bien ici les confusions et les dénis, notamment le déni de la nationalité française à nos concitoyens juifs et musulmans. Il existe donc des inconscients qui sont des graines de fanatisme que nous portons en nous. Il nous faut l’accepter pour mieux le combattre.

 Les fanatismes relèvent de l’idolâtrie

Nos fanatismes fonctionnent comme une idolâtrie. Une pensée théologique est une pensée au service de Dieu, mais si l’on finit par sacraliser cette pensée, en la dogmatisant de manière absolue et indiscutable, on en fait une idole. On finit par être au service d’un dogme qui peut devenir une « identité meurtrière » et non une pensée au service de Dieu. Tous nos dogmes, depuis 2000 ans de christianisme, devraient être examinés sous cet angle critique.

Quatre exemples, simplement, parmi tant d’autres : Lorsque l’on évoque la « puissance », voire la « Toute-puissance » de Dieu dans nos paroles, et nos prières, de quoi parle-t-on ? De la puissance de Dieu ou de la puissance de nos discours pour mieux convaincre ou dominer l’autre ?

Lorsque l’on évoque l’Église comme « peuple de Dieu », voire comme « le » peuple de Dieu, laisse-t-on aux autres, celles et ceux qui ne sont pas chrétiens, le droit de faire partie du peuple de Dieu ? On a même pendant longtemps développé la théologie de la « substitution ». Celle-ci affirmait que l’Église s’était substituée au peuple d’Israël et l’avait remplacé dans le plan de Dieu. Cela a nourri un antijudaïsme chrétien passif, qui a nourri un antisémitisme chrétien théorique, et si souvent actif hélas.

Lorsque l’on affirme que la Bible est « La Parole de Dieu », comme si Dieu était l’auteur de la Bible, alors il nous suffirait de l’appliquer à la lettre sans nuance… Dénier aux auteurs bibliques jusqu’à leur existence nous fait courir le risque de nous sentir seuls dépositaires d’une Parole sans interprétation possible. Le littéralisme est le début du fanatisme.

Lorsque l’on affirme qu’il existerait un « paradis » (une seule occurrence dans la Bible, en réponse à un des « larrons » sur la croix), qui serait bien sûr réservé aux « purs », du point de vue de la foi ou de la morale, n’encourage-t-on pas les personnes à rêver d’un avenir radieux, quitte à oublier leur présent bien réel ? Si ma vie est sans intérêt, autant en rêver une autre quitte à passer par le meurtre… Le seul antidote est d’une part d’affirmer l’importance de notre existence réelle, d’autre part d’affirmer un salut universel, signe de la grâce sans condition.

Nous voilà donc tous devant un immense chantier, une immense remise en cause de nos propres stéréotypes. Sans doute ne sommes-nous pas responsables de toutes les dérives. Mais, par nos stéréotypes, par nos langages apparemment sans conséquences, nous nourrissons le risque d’un radicalisme qui mène à différentes formes de fanatismes. Combattre les fanatismes est donc d’abord un travail sur soi. D’ailleurs un verset de l’évangile de Jean (14,6) fait dire à Jésus : « Je suis le chemin, la vérité, la vie. » La « vérité » n’est donc pas enfermée dans une pensée mais elle est comme enchâssée entre un chemin, c’est-à-dire un cheminement, une recherche, et une vie, c’est-à-dire une existence, une mobilité. Ne rendons pas Dieu immobile avec nos dogmes.

« Tu ne prononceras pas mon nom de manière abusive. » (Ex 20,7)

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À propos Jean-Marie de Bourqueney

est pasteur de l’Église protestante unie. Il est actuellement à Paris-Batignolles. Il est notamment intéressé par le dialogue interreligieux et par la théologie du Process.

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