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L’homme n’est plus un débris idéologique

296-09-1Un ouvrage majeur ! Dans le flux des ouvrages philosophiques ou de ceux qui prétendent l’être, il est rare de ressortir d’une lecture à ce point questionné. Jean-François Mattéi (à ne pas confondre avec son homonyme médecin et homme politique) nous offre là son dernier livre, puisqu’il nous quitta avant même sa publication. Le constat est amer : on met le mot « humanisme » à toutes les sauces médiatiques, alors que le XXe siècle a voulu tuer l’humanisme ! D’abord politiquement, avec les massacres successifs que furent les deux guerres mondiales, et notamment la Shoah. Puis, la philosophie prit le relais, voulant, au nom de la « déconstruction », éradiquer la notion de substance de l’homme. Ce pessimisme a produit la régression de l’homme vers son animalité (les massacres) ou son auto-anéantissement, parfois par des rêves chimériques (le « transhumanisme », c’est-à-dire le corps humain bardé de technologies). Les nazis furent « aveugles à l’idée d’homme ». Mais ne le sommes-nous pas un peu aussi, en réduisant celui-ci à un produit ou à une consommation de produits successifs ? Faisant appel au sociologue Zygmunt Bauman, à sa notion de « modernité liquide », Jean-François Mattéi s’en prend à l’effort suicidaire de la philosophie à vouloir déconstruire, c’est-à-dire liquider, l’idée d’humanité. Il s’en prend notamment à Derrida, « pape » de la déconstruction, qui va jusqu’à écrire que « tout cela ne veut rien dire ». Prenant le contre-pied de cet absurde, l’auteur veut nous mettre devant ce miroir de notre folie. Le sous titre nous dit l’objectif : « Essai sur la déconstruction de la culture ». Analysant successivement la déconstruction du langage, puis du monde, de l’art et enfin du corps, il en vient à vouloir (re)construire le « premier homme » (titre de sa conclusion). On peut ne pas suivre Mattéi dans toutes ses conclusions (par exemple sur l’art, pour ma part), mais ses interrogations sonnent juste. Terriblement juste. Il est très proche, dans sa démarche, d’Albert Camus, dans son refus d’une pensée dominante et des effets de mode. Il cherche, et nous invite à une telle rigueur, à réhabiliter l’effort de la construction positive. D’ailleurs il emprunte son titre à une comparaison inspirée de Camus. Pour lui, il y a, d’une part, « l’homme révolté », qui dit « non » à ce qui transgresse l’humain et dit « oui » à la part précieuse de l’humain, et, d’autre part, « l’homme dévasté » qui ne dit plus « ni oui ni non » à tout ni à rien. Cet homme dévasté n’a plus d’autre horizon que des « simulacres ».

Il y a un filigrane permanent dans cet ouvrage : Mattéi est l’un des plus grands spécialistes de Platon. Il le cite parfois, mais parfois seulement. On aurait pu pourtant mettre un autre sous-titre à ce livre : « Et si Platon avait raison ? ». Il mentionne effectivement l’apport de Platon d’avoir reconnu à l’homme une substance, son « âme », et une force, le « logos ». Hélas, il n’y aura pas de tome 2, mais cela aurait pu s’intituler « Relisons Platon pour demain… », et même un sous-titre que j’emprunte à l’une de ses phrases : « L’homme n’est plus un débris idéologique ! »

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À propos Jean-Marie de Bourqueney

est pasteur de l’Église protestante unie. Il est actuellement à Paris-Batignolles. Il est notamment intéressé par le dialogue interreligieux et par la théologie du Process.

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