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Croix de Résurrection

La croix a toujours été le symbole chrétien par excellence, celui dans lequel des millions d’hommes et de femmes se reconnaissent, de par le monde, comme croyants au Dieu de Jésus-Christ. Toutefois, de nos jours, ce symbole semble faire problème. Nos sociétés en viennent à l’écarter progressivement, la croix semble disparaître du champ de conscience des hommes d’aujourd’hui. Plus grave, à mes yeux, même dans les cultes, elle n’est plus prêchée. On peut même écrire des confessions de foi sans en faire la moindre mention. L’annonce chrétienne se résume souvent à des variations sur l’amour du prochain ou bien à l’annonce purement joyeuse du dynamisme créateur de Dieu en notre monde. La négativité qu’exprime la croix est passée sous silence, n’est-ce pas là un déni de réalité ?

 La croix nous fait horreur

Depuis toujours, la croix fait horreur. Pensez, un instrument de supplice, un homme torturé comme symbole de notre foi chrétienne ! Et ces crucifix dégoulinants de sang ! Ce cadavre désarticulé pendu au bois ! Quel sens de dresser cela devant les hommes, comme la figure de leur salut ? Ne sommes-nous pas les enfants de la résurrection ? S’identifier à cette image, quel masochisme ! Et en dessous, quel ressentiment ! Dans notre monde épris de bonheur, de force, de jeunesse et de santé, quelle contradiction horrible !

La croix nous fait honte, car elle évoque invinciblement le péché des hommes, notre culpabilité infinie qui aurait exigé, a-t-on soutenu pendant des siècles, le sacrifice substitutif et expiatoire du Fils de Dieu. Le prétendu amour de ce Dieu-là ne serait-il pas plutôt pervers et cruel, origine d’une culpabilité sans limites ? Ce Dieu qui commande d’aimer n’est-il pas terrifiant car terriblement exigeant ? En réalité, nous aime-il vraiment ? Décidément, la croix fait peur, elle n’évoque souvent rien de plus que la mort et de mauvais souvenirs.

Cependant, « nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les païens, mais pour ceux qui sont appelés, tant juifs que grecs, il est Christ, puissance de Dieu et sagesse de Dieu. » (1 Co 1,23-24). Je crois bien que nous sommes, nous aussi, comme ces Corinthiens qui ne voulaient entendre parler que de résurrection.

 La croix juge le monde

Jésus fit de la bienveillance de Dieu, de l’amour des hommes, particulièrement des pauvres et des exclus, le centre de toute sa prédication, de ses actes et de sa vie. Or, la croix vint lui donner un démenti radical : la haine, la violence des pouvoirs sont les plus fortes, et c’est même au nom de Dieu qu’elles s’exercent ! Le monde est sous l’emprise de l’anti-Royaume, l’amour extrême manifesté en Jésus-Christ se heurte à un refus non moins extrême. Cela dit, au lieu d’être crucifié, Jésus aurait pu mourir lapidé, mais cette mort dévoile la réaction qui en ce monde se manifeste quand Dieu, en son Fils, lutte pour la justice en faveur des pauvres et des exclus ; la mort semble gagner…

« Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï le premier » (Jn 16,18). La croix nous prévient que celui qui prend le chemin christique va se heurter comme lui à la puissance formidable qui prétend assurer l’ordre du monde, il risque bien de trouver en travers de son chemin d’autres Pilate, d’autres Grands Prêtres et d’autres Pharisiens. Le choix de la justice se heurtera inévitablement à la puissance du mal dont nous sommes souvent complices, ne serait-ce que par lâcheté. Il peut en coûter pour le disciple de Jésus qui accepte de faire route avec lui ; le disciple n’est pas au-dessus du maître.

À la croix, on peut dire que c’est Dieu qui se laisse exclure du monde. Ce meurtre de Jésus est en profondeur le meurtre de l’humanité en tout humain, car y est nié ce qui le constitue en vérité : la présence en lui de Dieu, la source des sources qui est don et tendresse.À la croix « est rejeté celui qui manifestait Dieu et le rendait présent » pour reprendre une formule d’André Gounelle. C’est donc, en même temps, le meurtre et l’éradication de celui qui est l’humain véritable, de l’humanité même illuminée par la Parole. C’est l’Homme qu’on assassine au nom de Dieu ; il y a des dieux qui donnent la mort…

Non, la croix ne peut être réduite à un fait divers sans signification. Jésus ne pouvait pas mourir dans son lit, compte tenu de la foi qui était la sienne et de la voie qu’il avait choisie, car le monde est plein de la foi opposée à celle de Jésus. Qui ne voit pas que les faibles et les pauvres continuent aujourd’hui à être écrasés, que le mépris et l’exploitation sont au pouvoir et que l’humanité de l’homme est détruite par le dieu Argent ? Ce n’est pas pessimisme de constater cela. C’est bien la réalité que la croix nous révèle crûment, mais c’est pour la vaincre.

 Révélation de Dieu

La croix nous révèle, positivement, qui est Dieu pour les hommes et comment il agit dans le monde. « Qui me voit, voit le Père », affirme le Jésus de Jean. Sur la croix, nous percevons un Dieu désarmé, à mille lieues de l’idole issue de nos projections infantiles. Dieu agit non pour nous contraindre, mais pour « attirer tout à lui ». Il subit la violence des hommes, mais il pardonne, donnant ainsi à voir son vrai visage. Il nous délivre de la figure du dieu omnipotent écrasant ses ennemis, celui que les hommes construisent en raison de leur idolâtrie du pouvoir qui asservit. Dieu nous délivre fondamentalement de la violence meurtrière qui est en nous. L’amour bienveillant envers les hommes afin qu’ils deviennent vraiment humains en vivant de sa vie, tel est le désir du vrai Dieu et de celui qui est son Visage lumineux. Un Dieu de vie et de tendresse envers les humains : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils » (Jn 3,16).

 Résurrection

L’Évangile n’est pas un récit à l’eau de rose, il nous prévient du mal qui règne dans le monde, mais la croix nous révèle d’abord, par anticipation sur l’issue du récit, que Dieu lui-même, en Christ, est proche des souffrants. Il y a, en nous, plus grand que nous, ce qui nous arrache à l’enfer : le Dieu de Jésus-Christ, vainqueur de la violence destructive.

Le ressuscité est un crucifié. Souvenons-nous de Thomas dans l’évangile de Jean, ce n’est que devant la marque des clous qu’il reconnaît le ressuscité. (Jn 20,27-28.) Par conséquent, l’espérance qui naît de la résurrection de Jésus n’est pas ultimement celle d’une victoire sur la mort naturelle : c’est celle qui naît de la résurrection d’un crucifié victime de la violence des pouvoirs politiques et religieux en raison de son combat au nom de son Dieu en faveur des pauvres. La croix est une espérance pour tous les crucifiés de l’Histoire : Dieu justifie les victimes, il « essuiera toute larme de leurs yeux » (Ap 7,17).

Certains diront que la croix renvoie à une vision pessimiste de l’humanité, que le jugement qu’elle porte sur nous est bien sombre et douloureux à entendre. Je pense qu’il faut voir cette douleur comme celle d’un accouchement, car il est douloureux pour l’homme de naître à son humanité véritable. L’Évangile, c’est justement la foi qu’il y a en l’homme de quoi surmonter sa misère, ce que Dieu signifie en vérité, et qu’il est bon pour lui d’être né. La croix du Christ est une croix de résurrection. En elle est apparue la réalité ultime du monde et de ce que nous sommes. Dieu est l’espérance des souffrants. « Dieu est tendresse » (1 Jn 4,16).

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À propos Michel Leconte

né en avril 1949. Diplômé de l’École de Psychologue Praticien en psychopathologie clinique, formé à la psychanalyse. Il a exercé son métier dans la Marine Nationale. D’origine catholique, il a re- joint l’ERF et son courant libéral en 1989.

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