Pâques

pasteur Serge Soulié

Pâques est la fête la plus significative de la foi chrétienne. Le sens qu’elle revêt est  cependant difficile à saisir tant il est divers. Il est courant de  se référer à  la fête  de la Pâque décrite dans le livre de l’Exode.  Le Seigneur demande à Moise que chaque famille tue un agneau et badigeonne avec ce sang  les montants et la poutre supérieure de la porte d’entrée en sorte que lorsqu’il passera pour tuer tous les premiers nés, les habitants de ces maisons soient épargnés. Le sang devient protecteur comme le sang de Jésus versé sur la croix sauve à son tour ceux qui croient en lui. Se  référant toujours à la sortie d’Egypte des Hébreux sous la conduite de Moïse, on peut dire que Dieu ouvre un passage à travers la mer pour laisser passer les Hébreux, comme il  ouvre le tombeau qui enfermait Jésus. Dans le premier cas il y a eu passage de l’Egypte à la terre promise, dans le deuxième cas passage   d’une vie mortelle à la Vie éternelle.

Dés le premier siècle, la signification de la Pâque se complique et  prend une autre tournure. Peut-être par souci de se démarquer de la religion juive après qu’il y ait eu rupture entre la synagogue et les communautés chrétiennes, la  question est devenue: quelle est la  vraie nature de Jésus de Nazareth ? Le débat, pour ne pas dire les conflits, a porté sur la part de Dieu qu’il y a en ce Jésus qui deviendra le Christ.  Pour les uns il est vraiment Dieu. Pour les autres, il reste un humain. Les conciles censurent et sanctionnent, souvent sous la contrainte plus politique que religieuse. Depuis, cette question n’a cessé d’agiter les milieux chrétiens. Elle devrait revenir sur le devant de la scène avec l’interrogation de la nature de Dieu lui-même. Ce Dieu qui a  permis la shoah. Ce Dieu qui, aujourd’hui, sous d’autres noms et dans d’autres religions, est invoqué pour commettre les meurtres les plus atroces.

La théologie  classique dite « de l’incarnation », voudrait que Dieu se soit incarné dans la personne d’un homme appelé  Jésus. Par cette incarnation Jésus serait devenu le fils de Dieu. Il serait engendré et non créé selon la confession de foi du concile de Nicée-Constantinople.

Certains ont vu dans cet engendrement, un Dieu qui pour faire la place à l’homme meurt sous une forme corporelle dans le supplice de la crucifixion. Ils voient là le summum de son amour pour le monde. Pour manifester cet amour Dieu disparaitrait temporairement par retrait ou par la mort du vendredi Saint au dimanche de Pâques.

Ce retrait de Dieu permet d’expliquer les raisons du mal. Dieu ne pouvant en être l’auteur, il fallait le placer dans une position où il est mis hors de cause. Dire qu’il est mort sur la croix en la personne de Jésus, c’est le disculper totalement et laisser à l’homme l’entière responsabilité de ce qui se passe dans ce monde. Cette position de « la mort de Dieu » reprend d’une manière radicale la théologie de ce que l’on pourrait appeler l’idée       d’absence / présence développée tout particulièrement par les penseurs juifs. Pour le kabbaliste de SAFED, Dieu s’est vidé de lui même, il s’est retiré pour laisser l’homme libre afin qu’il répare le monde. C’est la notion de tsimtsoum. Elle est reprise par Hans Jonas pour qui on ne peut plus croire après Auschwitz à un Dieu omnipotent. Dieu est une « bonté impuissante ». Il s’efface. Le retrait vient en lieu et place de la révélation.  Pour Martin Buber le philosophe du « je-tu »  il y a une « éclipse de Dieu ». Dieu se cache, il se voile la face. Il  répond ainsi à Nietzsche pour qui Dieu est mort. Enfin pour Levinas, Dieu n’est là, il ne surgit dans notre langage que si on est prêt à l’accueillir. Sa nature est vocative. Il ne répond que si on l’appelle.

Ces positions théologiques, juives ou chrétiennes, témoignent de la difficulté de repenser Dieu autrement que comme un être  de pouvoir qui intervient ou pas selon sa volonté.  Elles visent à le déresponsabiliser du mal qui arrive. Ainsi, Dieu est préservé. On peut le conserver tel quel. Le mal ne s’installe qu’en son absence. Une question se pose alors : Ne pourrait-on pas lui donner une place dans la durée, sans interruption aucune, s’il était perçu autrement, sans avoir recours aux arguments qui voudraient qu’il s’éloigne ou meure  momentanément pour expliquera la venue du mal ? Dit autrement, est-il si difficile de renoncer à un Dieu agissant  délibérément et intentionnellement selon son seul arbitrage ?

En effet dire que Dieu se retire dans l’intérêt de l’homme, pour lui faire une place et le rendre responsable fait de lui un stratège. La liberté de l’homme et la possibilité qu’il puisse assumer sa responsabilité reste ainsi sous son contrôle. Plus encore, l’homme ainsi abandonné momentanément se trouve livré à lui-même, exposé à l’insécurité la plus grande. Tout au moins le croit-il. Dieu n’étant plus là, il n’y a plus rien à faire. Laissons le mal suivre son cours jusqu’à ce que Dieu revienne !

La Croix me semble-t-il invalide cette position. En effet sur la croix ce n’est pas Dieu qui meurt, c’est Jésus. C’est bien un corps qui est crucifié. Dieu reste Esprit.  Il est toujours présent. Il ne s’est pas retiré. C’est l’harmonie entre Dieu et les hommes qui a été rompue. Il en est de même pour la shoah et tous les génocides de la terre.  Dieu ne se retire jamais. Ce sont les hommes qui rompent l’harmonie avec ce Dieu infini au sein duquel prend place   l’univers tout entier, les humains y compris. Pour utiliser un langage biblique, on pourrait reprendre le terme d’alliance en lieu et place de celui d’harmonie si les protagonistes de cette alliance, Dieu d’un côté, les hommes de l’autre, ne sont pas  deux entités égales où Dieu aurait sa part de responsabilité en cas de non respect.

Il est à se demander alors comment faire pour ne pas briser cette harmonie entre Dieu et l’homme. J’y vois trois conditions essentielles.

– Tout d’abord s’assurer que nous ne posons pas un Dieu « théiste » qui serait doté de volonté et d’un pouvoir arbitraire. Un Dieu qui ne serait que la projection de l’être idéal que nous voudrions afin qu’il satisfasse nos demandes et réalise le pouvoir qui nous échappe.

–  Apprendre à regarder, écouter, entendre, toucher tout ce qui nous entoure. Aussi bien la nature avec les plantes, les êtres  que tous les ouvrages  dus aux  humains quelque soit l’art concerné. Dieu est le fondement de toutes ces choses. Il faut savoir laisser émerger l’intuition qui nous conduit au Dieu infini et insaisissable.

– Ne pas séparer l’approche intellectuelle de l’approche du cœur lorsque l’on veut explorer « le champ de Dieu ». Dieu est un savoir auquel on ne peut avoir accès ni directement ni pleinement comme Dieu le dit à Moise : « je suis celui qui suis » ou encore « tu verras ma trace mais mon visage ne peut être vu ». Nous devons nous contenter des traces laissées ça et là. Ces traces ne sont lisibles qu’en associant  le cœur et la pensée. Elles délivrent une toute petite partie de connaissance et permettent un peu d’expérience sous forme d’un surgissement qui ni ne dure ni ne s’enregistre.

Pâques, contrairement à Noël a peu de rites religieux ou culturels qui caractérisent cette fête. Pas de sapin, pas de Père Noël. Pas de guirlande. Pas de lumières. Pas de crèche. Pas de légende. Pas de messe de minuit. Pour Pâques, les œufs et dans certains milieux très avertis, le gigot d’agneau à déguster au repas de midi. Rien d’autre. C’est la fête qui invite à la réflexion sur la vie comme sur la mort. C’est ce qui en fait sa beauté. Pour les plus curieux seulement.

 

 

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À propos Gilles

a été pasteur à Amsterdam et en Région parisienne. Il s’est toujours intéressé à la présence de l’Évangile aux marges de l’Église. Il anime depuis 17 ans le site Internet Protestants dans la ville.

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