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La place d’une femme est à la maison… des évêques

Elle s’appelle Lydie et, selon le livre des Actes des apôtres dans la Bible (16, 14-15), elle aurait été la première personne à devenir chrétienne en Europe. Son métier ? Marchande de pourpre, cette teinture très chère faite à partir de coquilles et qui est devenue la couleur des vêtements royaux. Les chercheurs ne sont pas tout à fait d’accord : était-elle, comme l’affirment la plupart d’entre eux, une femme d’affaires avec des moyens, ou était-elle plutôt pauvre et faisait-elle un travail sale et pénible pour subvenir seule aux besoins de toute sa famille ? Le récit biblique raconte comment Lydie accueille chez elle l’apôtre Paul et les prédicateurs de la Bonne Nouvelle. Avec toute sa maison, elle se convertit à la voie de Jésus Christ. Et, bien après le départ des apôtres, elle fonde et préside ce que l’on peut appeler la première « Église de maison » en Europe.

 Une longue attente pour l’Église d’Angleterre

La couleur des chemises des évêques de l’Église anglicane est d’un beau violet. C’est un tissu de pourpre : une couleur que certains évêques luthériens scandinaves (hommes et femmes) et certains évêques méthodistes portent aussi habituellement.

Mais les femmes de l’Église d’Angleterre ont dû attendre jusqu’au 26 janvier dernier pour pouvoir porter la pourpre.

Ce fut une longue attente. Les premières femmes ont été ordonnées diacres à la fin des années 1980 et prêtres en 1994. Et même si les dernières décennies ont paru longues, l’ordination de Libby Lane le 26 janvier 2015 à York Minster par l’Archevêque John Sentamu trouve son origine plus loin encore.

C’est en 1920 que la Conférence de Lambeth, qui réunit tous les évêques anglicans du monde tous les 10 ans environ, s’est penchée pour la première fois sur la question de l’admission des femmes à la prêtrise. Quinze ans plus tard, en 1935, une commission extraordinaire des archevêques, qui débattait de la question, s’opposa à l’accès des femmes à la prêtrise.

Mais en 1944, face aux exigences de la guerre et à l’invasion japonaise, l’évêque Ronald Hall de Hong Kong ordonna la première femme prêtre de l’Église anglicane, Florence Li Tim-Oi, une diacre chinoise. Après la fin de la deuxième guerre mondiale, pour ne pas causer de scandale, elle démissionna de sa « licence » (permission d’exercer dans une paroisse). Elle resta ordonnée mais n’exerça de nouveau qu’en 1971, quand la province de Hong Kong et Macao devint la première province de la communion anglicane mondiale à ordonner des femmes prêtres. Les provinces des États-Unis, du Canada et de la Nouvelle-Zélande ordonnèrent des femmes au milieu des années 1970. Puis c’est en 1989 que Barbara Harris devint la première femme évêque de l’Église anglicane : elle fut nommée auxiliaire dans le Minnesota aux USA.

Mais l’Église d’Angleterre elle-même mit du temps. De plus, il convient d’ajouter que des femmes pasteurs exerçaient déjà dans d’autres Églises protestantes (réformées, baptistes, méthodistes, moraves) en Angleterre depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies : la première fut Constance Coltman Todd, ordonnée en 1917 dans l’Église congrégationaliste (réformée).

 La place d’une femme…

Les raisons de l’attente sont complexes. On veillait à l’unité avec les opposants traditionalistes et les évangéliques conservateurs. Des mesures spéciales furent mises en place, mais on ne voulut pas trop céder à ceux qui n’acceptaient pas d’être sous l’autorité d’une femme. Ce pari de rassembler semblait gagné, on ne craignait plus de démissions massives pour l’ordination catholique. Pendant les années d’attente, le groupe de pression WATCH (Women And The CHurch – Femmes et l’Église) tint bon et usa d’humour, imprimant des torchons, signes du travail à la cuisine, de couleur pourpre, avec le slogan « La place d’une femme est à la maison… des évêques ». En effet, la législation de 1992, qui mettait en place l’ordination des femmes prêtres, n’abordait pas la question des femmes évêques. Ainsi, le synode de l’Église d’Angleterre, composé de trois « maisons » – la Chambre des évêques, la Chambre du clergé et la Chambre des laïcs – ne se lança dans ce processus qu’en 2005. Pour être acceptée, la nouvelle législation avait besoin d’atteindre une majorité des deux tiers dans les trois Chambres. Malheur en novembre 2012 : l’adoption de la législation échoua, à quelques voix près et uniquement dans la Chambre des laïcs.

 La pression de l’opinion publique

En temps normal, après cet échec, il aurait fallu attendre plusieurs années avant de pouvoir reposer la question. Mais il y eut une surprise : l’opinion publique de ce pays aujourd’hui très sécularisé, était outrée que son Église d’État n’ordonne pas des femmes évêques. Le Premier ministre David Cameron pressa l’Église de remédier rapidement à ce problème et fit entrevoir la menace que, si l’Église n’y arrivait pas, le Parlement s’en chargerait – le Parlement délègue son pouvoir à l’Église mais était prêt à reprendre cette délégation pour faire avancer la législation. C’est ainsi que les trois Chambres du Synode votèrent de nouveau en novembre 2014 et la majorité des deux tiers fut alors acquise.

Déjà ordonnée, Libby Lane sera installée dans la cathédrale de Stockport le 8 mars, une date laïque importante pour les droits des femmes. Elle n’est pas une star, mais une évêque auxiliaire, avec un ministère pastoral de direction. Des femmes évêques diocésaines vont être nommées dans les mois qui viennent. Les femmes accèdent à la pourpre et à la direction dans l’Église d’Angleterre, dans un temps où les institutions ecclésiales en Europe sont en transformation, après une nouvelle vague de sécularisation. Avec leurs collègues hommes, tous ensemble, ils auront des décisions difficiles à prendre, des réformes à mettre en place, de l’argent à trouver, ils devront imaginer de nouvelles manières de vivre l’Église. Après ces décennies d’attente, une chose est sûre : si l’apôtre Lydie a été la première chrétienne en Europe, ses sœurs qui portent aujourd’hui les chemises de travail violettes vont faire de leur mieux pour ne pas être les dernières

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À propos Jane Stranz

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