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Les crayons de couleur

Babolette, comme on l’appelait, aurait bien aimé dérider l’oncle Adalbert, le faire sourire au moins une fois dans l’année, le tirer de son éternelle tristesse. C’est que l’oncle Adalbert était triste, toujours triste, toujours à se plaindre des difficultés de l’existence. À peine cherchait-on à le distraire de ses sombres pensées que déjà il vous rabrouait d’une remarque désagréable. Quand Babolette se trouvait dans ses parages, il s’ingéniait même à lui montrer des images toujours ternes, avec des ciels d’orage et de pluie, et des personnages aux allures chagrines. Comment, se disait Babolette, comment faire pour que l’oncle Adalbert soit un peu plus aimable et se mette enfin à nous sourire ? C’était désespérant.

Vint le jour de Noël. Adalbert, comme à son habitude, répondit en bougonnant à l’invitation que lui adressa Gertrude, la maman de Babolette, à participer à la famille rassemblée autour du sapin. Comme Gertrude insistait, Adalbert consentit à s’y joindre, mais en précisant qu’il se tiendrait un peu à l’écart et que la prétendue « joie de Noël » ne le dissuaderait pas de penser que tout allait de mal en pis.

On alluma le sapin, on entonna un chant de Noël, les enfants récitèrent leur poésie avant le moment tant attendu : celui d’ouvrir les cadeaux déposés au pied du sapin. Celui de Babolette était une très grande boite avec autant de crayons de couleur que l’œil est capable de distinguer les couleurs les unes des autres. Sagement rangés les uns à côté des autres u, ils formaient une sorte d’arc-en-ciel d’arc-en-ciel, depuis les rouge profond d’un côté jusqu’aux bleu profond de l’autre, en passant par toutes les nuances d’orange, de jaune et de vert. C’était à ne pas savoir quel crayon choisir pour bien colorier un dessin.

Babolette était ravie et se demandait déjà quel usage elle allait bien pouvoir faire de tous ces crayons et de toutes ces couleurs quand, promenant son regard sur les adultes et les enfants présents autour du sapin, elle vit l’oncle Adalbert, assis un peu à l’écart, encore et toujours sinistre et bougonnant. Il lui vint alors une idée :

  • Oncle Adalbert, dit-elle avec un sourire, si on en profitait pour colorier une de tes images toutes grises et tristes.

Adalbert se sentit pris au dépourvu, comme s’il n’était tout à coup plus capable d’être aussi rébarbatif que d’habitude. Il commença par marmonner quelques paroles incompréhensibles, comme s’il n’arrivait pas à répéter ce qu’il avait l’habitude de dire, pour finalement esquisser un sourire, ce qu’on ne l’avait plus vu faire depuis des années, et répondre :

  • Eh bien, oui, pourquoi pas…
  • Alors laquelle puis-je colorier, demanda Babolette ?
  • Celle que tu voudras.
  • Celle avec la pluie et le bonhomme tout triste ? Ça l’aiderait à fêter Noël.
  • Je veux bien.

Tandis que Babolette se mettait à colorier l’image en question, chacun dans la famille en était à se dire qu’il n’avait jamais vécu un Noël pareil, avec un oncle Adalbert dont le sourire s’épanouissait au fur et à mesure que Babolette avançait dans son coloriage. Elle s’y prenait avec un savoir-faire qu’on ne lui connaissait pas. Le paysage de l’image prenait des allures ensoleillées, presque paradisiaques, avec partout des couleurs éclatantes, et le personnage morose au milieu de la scène s’en trouvait avoir un air si aimable et compréhensif qu’on aurait dit Jésus lui-même.

  • C’est fantastique, ce que tu sais faire ave ces crayons, lui dit Adalbert. Ça donne envie de vivre et de sourire à la vie.
  • Attends, rétorqua Babolette, je vais encore dessiner un arc-en-ciel.
  • Pourquoi un arc-en-ciel ?
  • Parce que c’est Noël et que l’arc-en-ciel doit relier le ciel et la terre, faire en couleurs le pont entre Dieu et nous.

Adalbert, depuis ce Noël-là, n’a plus jamais été le personnage désagréable et bougon qu’on connaissait. Il ne manquait jamais d’expliquer aux gens qu’il rencontrait que nous avons de la chance d’avoir entre Dieu et nous un arc-en-ciel qui donne des couleurs à la vie.

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À propos Bernard Reymond

né à Lausanne, a été pasteur à Paris (Oratoire), puis dans le canton de Vaud. Professeur honoraire (émérite) depuis 1998, il est particulièrement intéressé par la relation entre les arts et la religion.

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