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Un Tramway nommé désir de Tennessee Williams

Deborah Kerr, qui fut son interprète dans La Nuit de l’iguane, disait de Tennessee Williams : « C’est un très grand écrivain. Pour les titres ». La sentence demeure depuis la fin des années 60 le jugement le plus courant sur un auteur qu’Hollywood aura vampirisé, adaptant à la chaîne ses pièces pour leur donner les visages impérissables dans les mémoires de Marlon Brando, Vivian Leigh, Liz Taylor, Richard Burton ou Paul Newman. Puis suivent quatre décennies de dédain, frileusement illustrées par quelques théâtres privés, que rompt depuis deux ou trois ans un emballement ambiguë des metteurs en scène familiers des scènes subventionnées. Au passage, cette réhabilitation règle ses comptes avec l’œuvre elle-même, broyée l’an dernier sous la férule de Bob Wilson à l’Odéon, démembrée par la traduction de Wajdi Mouawad, exécutée par Lee Breuer aujourd’hui à la Comédie-Française.

Il serait injuste de ne pas reconnaître que le metteur en scène américain ne lésine ni sur les plumes ni sur le goudron pour ce lynchage. Dans la liste toujours très fournie des idées qu’on ferait mieux de ne pas avoir, il recourt à des traditions scénographiques issues d’une forme théâtrale japonaise du XVIIe siècle, le bunraku, sensée offrir la métaphore de la culture orale du Mississipi avant la guerre de Sécession (nous enseigne le programme qui n’a pas froid aux yeux). Au résultat, quelque chose d’équivalent à une production de Madame Butterfly chantée en breton à la Féria de Nîmes laisse le spectateur plus circonspect que ne le voudrait probablement l’équipe artistique. Les intentions funestes volent en escadrille sur ce Tramway. La plus destructrice pourrait être le choix de sonoriser les comédiens. Il est manifeste que personne n’a prévenu à temps Lee Breuer que la salle Richelieu n’était pas le Stade de France. Vidangées de leur humanité, de leurs péripéties sonores naturelles, retapées au numérique, flinguées par l’amplification, les voix, ce qu’il en reste du moins, une fois lancées dans la salle comme des boulets, ont le ton et la sophistication d’une rediffusion sur M6 de la version française d’Amour, Gloire et Beauté. Les comédiens du Français n’ont plus rien à prouver. Il faut saluer leur persévérance et une réelle forme d’abnégation, notamment chez Eric Ruf, à servir avec intégrité un tel projet.

Malgré tous ses efforts, Lee Breuer ne parvient pas à anéantir tout à fait la pièce. On en perçoit la fragilité et les limites, on converse avec la dérive de cette Amérique marginale et animale, confrontée à son désastre lunatique, on en surprend d’autres secrets que ceux qu’on attendait. Et on se souvient, troublé, que Président du Festival de Cannes en 1976, l’auteur de La Chatte sur un toit brûlant récompensa de la Palme d’or Martin Scorcese pour Taxi driver mais aussi Eric Rohmer pour La Marquise d’O. On doit la survivance inattendue de la prose williamsienne au traducteur Jean-Michel Desprats, dont il faut dire que l’œuvre accomplie depuis trente ans pour le théâtre de langue anglaise, à commencer par Shakespeare, constitue l’une des plus belles créations dramaturgiques contemporaines. Il donne une fois encore une version captivante et polémique du texte source. Elle bouscule, ébranle, caresse la dérisoire épopée des petits blancs de la Nouvelle Orléans. Lui procure d’autres cavernes et d’autres échos où on la perd parfois. Elle nous en vole les souvenirs cinématographiques, nous restitue la littérature blessée de ceux nés pour être oubliés. Donne même envie de relire les adaptations de Cocteau et de Sagan. Offre d’observer un texte naître et se mouvoir, de jouir et souffrir avec lui, d’admettre qu’il s’éteigne, de pénétrer une propriété condamnée. Joyeux anniversaire Tennessee.

Un Tramway nommé désir de Tennessee Williams, mise en scène de Lee Breuer. Comédie- Française. Jusqu’au 2 juin 2011. . www.comedie-francaise.fr

Avec L’avant-scène-théâtre, la Comédie Française consacre à Tennessee Williams un numéro de ses Nouveaux Cahiers en février. Nouvelle publication d’œuvres choisies, versions intégrales parfois inédites, collection Bouquins chez Laffont, au printemps. Biographie à paraître en septembre 2011.

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