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Le christianisme face à la modernité

Peut-on encore, aujourd’hui, avoir une religion qui date de 2000 ans ? Le christianisme est-il dépassé ? Ne peut-il y avoir des progrès dans la religion comme dans tout domaine, et ne faudrait-il pas reléguer cette vieille religion chrétienne au rayon des antiquités ? Certains le pensent. Il faut bien dire qu’il y a un décalage considérable entre le contexte social, culturel, intellectuel de ses textes fondateurs et le nôtre.

  Il y a, entre la révélation chrétienne et notre société contemporaine, de très gros écarts, des failles, de mentalité, de représentation du monde, de connaissances scientifiques, physiques et aussi de connaissances de l’homme, que ce soit dans le domaine de la médecine ou de la psychologie des profondeurs.

  Il y a aussi des différences fondamentales de préoccupations, de mode de vie, de culture qui font qu’à l’évidence, telle quelle, la religion du temps des premiers chrétiens n’est plus possible aujourd’hui.

  La seule solution pour le christianisme, c’est donc de s’adapter, sinon il est condamné, ce qui est d’ailleurs vrai de tous les organismes vivants dans ce monde.

  Certains mouvements religieux ont néanmoins refusé d’évoluer, ils se sont alors coupés du monde pour devenir une secte, c’est le cas des Amish qui refusent le progrès moderne. Ce n’est pas l’image que nous souhaitons de la religion. Et encore, les Amish datent d’il y a trois cents ans ; pensons à la religion qu’il faudrait avoir si l’on refusait d’évoluer depuis le Christ, c’est-à-dire depuis le Moyen-Orient d’il y a 2000 ans !

  Aujourd’hui il est impossible de prétendre avoir la religion du Christ ou tout au moins des Apôtres ou des premiers disciples. Les Actes des Apôtres ne peuvent pas être pour nous un modèle de religion, ce qui y est décrit correspondait à une certaine culture, dans un lieu, à une époque. Notre contexte est totalement différent, nousn’avons pas les mêmes interrogations, pas le même regard sur le monde, notre mode de vie est tout autre, la religion ne peut pas être la même.

  Qu’attend-on de la religion ? Doit-elle rester confinée dans des milieux élitistes, des sortes de conservatoires où l’on se réunirait le dimanche entre gens très cultivés, pour dire des choses complètement en décalage par rapport au monde moderne ? Les jeunes diraient alors : « ces gens-là sont complètement à côté de la plaque, ce qu’ils font n’a rien à voir avec notre existence », sans avoir vraiment tort. Veut-on faire de la reconstitution historique, ou voulons-nous une religion capable de parler aux gens d’aujourd’hui là où ils sont ?

  Notre réponse est claire. Si l’on veut que le christianisme ait un avenir, qu’il trouve une place dans notre culture et dans le monde moderne, il doit s’adapter, et donc être adapté par ceux qui le prêchent.

  Se pose alors la question de savoir jusqu’où l’adapter. Se contente-t-on de dire que, même si Jésus se promenait en sandales avec des cheveux longs et une grande barbe, on admet que les pasteurs d’aujourd’hui se présentent autrement, ou faut-il aller plus loin ? Que pouvons nous modifier dans notre religion, sans lui faire perdre son âme ? Que veut dire rester fidèle tout en ré-interprétant ? Et si l’on parle de modernité, qu’y a-t-il dans la modernité qui doive être pris en considération ?

Cathédrale de la Résurrection, Évreux, , architecte : Mario Botta  Commençons par le plus simple apparemment : le monde moderne nous offre des progrès d’ordre purement techniques, qui sont efficaces et ne semblent pas menacer la religion chrétienne, comme des outils de communication, par exemple. En tant que chrétiens d’aujourd’hui, il nous faut accepter le monde moderne : nous acceptons par exemple les voitures (au lieu de nous déplacer sur un âne comme Jésus) ; il faut accepter d’utiliser les progrès techniques et tout ce qui peut nous donner une certaine efficacité. On sait que la Réforme a dû son succès extraordinaire à l’utilisation de l’imprimerie : les protestants au XVIe siècle ont su utiliser leur monde moderne au bon moment et cela leur a donné un avantage considérable. Saurons nous aujourd’hui faire de même ?

  Curieusement cela ne semble pas si simple, il y a comme une réticence fondamentale à l’utilisation des techniques modernes. On rencontre encore bien des pasteurs trouvant très valorisant de prétendre ne rien connaître à Internet. Et quant à nos offices, il est quand même étonnant que l’on célèbre aujourd’hui le culte dudimanche d’une manière aussi obsolète. Pensons-y : on réunit des gens dans une grande salle, un peu curieuse, quelqu’un monte dans une chaire, vêtu d’une tenue qui remonte au XVIe siècle, parle longuement aux gens puis leur dit : maintenant vous allez tous chanter ensemble une chanson. C’est très étrange. Cela ne se fait nulle part. Dans aucun lieu moderne la communication ne fonctionne de cette façon.

  Les Évangéliques, eux, savent mieux s’adapter. Pas de temple en forme de croix, pas de chaire en bois spectaculaire, pas de tableau de cantiques gothique. Les gens se réunissent dans une salle de cinéma, les cantiques sont projetés sur un écran, et le pasteur est habillé comme tout le monde. Mais ont-ils vraiment raison ? Est-ce que nous, chrétiens, nous devrions utiliser ces modes de communication et faire de nos cultes des présentations Power-Point, plutôt que de garder ces formes de communication héritées d’il y a trois siècles ?

  Cela n’est pas si évident et je ne suis pas sûr que la religion doive toujours jouer totalement le jeu de la modernité.

  S’il y a, en effet, dans la religion une nécessité de s’adapter, elle doit garder une composante de tradition, c’est-à-dire de racines et de durée. Les gens ont besoin d’avoir un enracinement, et une stabilité, en particulier par rapport au temps qui passe, et même au progrès qui peut générer une certaine angoisse. C’est ainsi que la préoccupation de l’Histoire est aussi l’une des composantes fondamentales de notre monde moderne. On le voit dans cette invitation permanente au « devoir de mémoire » qui, si lassante soit-elle, nous fait sentir qu’on ne peut pas vivre aujourd’hui comme si rienn’avait été vécu avant nous. Et chacun cherche ses racines , ses  ancêtres . Or la religion fonctionne dans quelque chose qui touche l’humain de façon beaucoup plus p rofonde qu’une réunion fonctionnelle dans une entreprise, et on peut donc penser qu’elle doit, de ce fait, prendre en considération ce besoin d’Histoire et de traditions.

  Chacun ayant besoin d’être rassuré sur l’avenir et le temps qui passe, il est important que la religion soit capable de montrer une certaine stabilité, une force, une transversalité par rapport à l’Histoire, c’est un de ses rôles fondamentaux. Certainement donc faut-il évoluer, savoir utiliser les techniques modernes ; néanmoins, non pas par une sorte de « traditionalisme » irréfléchi, mais pour des raisons positives de fond, on peut vouloir maintenir dans sa pratique pastorale de ne pas faire de présentation Power-Point au cours du culte, et de continuer à mettre une robe datant du XVIe siècle, ce n’est pas là que se joue la juste exigence « d’être moderne ».

  Beaucoup pensent qu’il faut bien accepter d’évoluer sur les choses extérieures et secondaires mais qu’il faut, sur le fond, garder l’essentiel. C’est peut-être le contraire qu’il faut faire. On peut rester d’autant plus traditionnel sur la forme que finalement cette forme n’a pas grande importance (peu importe que le pasteur soit en complet ou en robe). L’essentiel est de s’adapter au monde moderne pour le contenu, le message, afin que ce qui est dit puisse être entendu et compris.

  Dans tous les cas, cela montre qu’il ne faut pas faire n’importe quoi, le christianisme doit être moderne, il doit évoluer, mais pas n’importe comment, et sans pour autant rompre avec ses racines.

  Cela dit, cette frilosité de nos contemporains par rapport aux techniques modernes est une erreur qui peut les condamner. Il est aff ligeant de voir le peu d’investissements que font la plupart des paroisses sur leur site Internet, c’est une grave erreur. Il faut savoirutiliser les outils de communication modernes, tout en conservant une dimension traditionnelle qui reste quelque chose d’important tant qu’elle n’est pas un frein à notre capacité de progresser.

Cathedral of Christ the Light, Oakland, California, USA, 2008, architectes : Skidmore, Owings & Merrill.  Jusqu’au XIXe siècle, la science n’avait pas énormément évolué et on pouvait rester sur les conceptions d’Aristote. Mais depuis lors tout a changé, et le progrès de la science pose des problèmes et un réel défi à la religion. Cela, en particulier, par rapport aux textes révélés et aux discours que l’on a pu tenir, qui mènent vite à des conflits avec le discours scientifique.  

  Le conflit vient essentiellement de ce que, normalement, la religion parle du mystère, de ce qu’il y a d’incompréhensible pour l’homme, de l’invisible, de l’impalpable, de l’absolu, du transcendant, de ce qui nous dépasse ultimement. Du temps de Jésus, il y avait beaucoup de choses que les gens ne comprenaient pas et qui étaient mystérieuses. Tout ce qui était terrifiant, grand, incompréhensible, on le mettait dans le domaine du religieux. Ainsi y a-t-on mis : le cours des planètes, la météo, les orages, les inondations et les famines. On ignorait aussi comment on devient malade ou l’on guérit, donc la santé relevait de la religion. Tout comme la fécondité d’ailleurs : pourquoi une femme a un enfant ou n’arrive pas à en avoir ? Mystère, donc on en attribue la cause à l’Éternel.  

  La science a ensuite montré que tout cela n’était pas si mystérieux, on connaît à peu près les mécanismes de la gestation, les femmes savent le plus souvent maîtriser leur fécondité, on peut prédire le passage des comètes, et on comprend les fonctionnements de la météo. On sait à peu près les processus de maladie et de guérison, on sait comment on attrape la lèpre et comment on en guérit. On a ainsi retiré à la religion une bonne part de ce qui lui appartenait. De plus, aujourd’hui, nous avons une conception du monde qui est très différente de celle qu’avait Jésus, ou les auteurs de la Genèse.  

  La science n’a pourtant pas de grandes prétentions si ce n’est d’être une description du monde matériel. Elle ne prétend pas dire les tenants et les aboutissants, d’où tout cela vient, à quoi cela mènera, ni le sens de quoi que ce soit. La science décrit ce qui se passe et ce qui s’est passé dans l’histoire de l’Univers, elle ne fait pas de théologie. Mais pour parler du monde et de ce que Dieu y fait, il faut bien adopter une conception du monde matériel comme cadre. Le problème est alors de savoir quelle science adopter : va-t-on adopter la science d’il y a 3000 ans ou celle d’aujourd’hui ?

  On peut prétendre adopter la science d’il y a 3000 ans, c’est ce que font certaines sectes qui s’opposent à l’évolutionnisme, qui croient que le monde a été créé en une semaine, et littéralement à toute la Genèse avec quantité de choses extraordinaires. On peut très bien croire à tout cela, refuser la science moderne et rester dans la logique de la description du monde de ces époques anciennes. Mais c’est alors se couper gravement de ses contemporains.

  Cela a été un débat important en théologie à la fin du XIXe siècle avec les « orthodoxes » et les « libéraux ». Les premiers refusaient le progrès, en disant que « tout ce qui est écrit est vrai et dicté par Dieu » ; à quoi les libéraux répondaient qu’il faut lire à travers le filtre de la pensée moderne. À l’extrême, l’attitude libérale a mené à faire un tri dans l’Écriture, entre ce qui était compatible et ce qui ne l’était plus, écartant tout ce qui semblait impossible, dont les différents miracles, pour ne garder ce qui est de l’ordre de l’enseignement. Le problème c’est qu’alors la Bible se vide de beaucoup de choses…

  Certains ont essayé de tout concilier en montrant qu’au prix de certaines prouesses intellectuelles, les récits bibliques pouvaient « s’expliquer », et ne pas être en contradiction avec la science. On voit alors dans les 7 jours de la création 7 grandes périodes, la Mer Rouge peut s’écarter grâce à un raz-de-marée, etc. On essaie de trouver des passerelles pour dire que finalement la Bible avait quand même raison et qu’elle était même beaucoup plus intelligente qu’on ne pense. Cette attitude appelée « concordisme » peut sembler séduisante, mais elle est stérile. Elle met la religion à la remorque de la science en tentant de prouver a posteriori que la Bible n’est pas complètement absurde.

  Or on peut avoir une idée plus grande de la Bible, non pas seulement qu’on puisse montrer, après un travail intellectuel important, qu’elle ne va pas à l’encontre des faits, mais que la Bible est capable de nous dire quelque chose que la science ne dit pas, nous dire quelque chose avant la science, et pas seulement être à la traîne de la science au regard de laquelle il faudrait la justifier. Et puis n’est-on pas en train d’essayer d’adapter de l’inadaptable ? Pouvons-nous continuer à bricoler indéfiniment en essayant de sauver des lambeaux de choses bibliques, tout en gardant notre monde moderne, et en tentant de mettre tout cela en rapport

  Il y a une attitude possible, consistant à dire : on va séparer les choses ; le domaine du matériel et le domainedu spirituel. On va laisser aux scientifiques la description des choses, et aux théologiens le spirituel . O n peut ainsi faire mieux que les libéraux que l’on caricaturait plus haut : rester à l’écoute de la science tout en conser vant les textes bibliques, en disant que l’intérêt de ces textes c’est leur message spirituel. Abandonnons donc l’idée de savoir si Jésus est né d’une vierge ou pas, mais demandons-nous ce que cela peut vouloir dire pour nous dans notre vie spirituelle. On peut de la sorte récupérer la plupart des textes bibliques en en faisant une lecture symbolique. C’est déjà une attitude plus intéressante. C’est d’ailleurs aujourd’hui ce qui a permis de réconcilier les libéraux et les orthodoxes. Inutile de savoir si Moïse a ouvert la Mer Rouge ou non avec son bâton, la question est de savoir ce que cela signifie pour nous aujourd’hui et maintenant.

  C’est ainsi que l’on devrait enseigner dans les Écoles Bibliques. On lit ce récit, puis on demande ce qu’il veut dire. Certains disent : cela veut dire que quelquefois je suis au-devant de quelque chose que je ne peux pas traverser, j’ai peur de me noyer, mais avec l’aide de Dieu je peux traverser ce qui me semblait intraversable. Très bien. On peut faire de tout l’Évangile une lecture allégorique et symbolique.

  Ainsi encore, l’intérêt de la naissance virginale, n’est pas d’ordre gynécologique, mais il est vrai que, pour être semblable au Christ, il faut que Dieu vienne féconder une histoire humaine. Nous sommes tous à l’image de Marie et nous devons tous être fécondés par la Parole de Dieu qui vient nous ensemencer de son esprit pour que nous devenions gros de la présence du Christ qui puisse naître de nos vies. La « naissance virginale » devient alors un beau message si on la comprend symboliquement.

  Et on peut aussi lire avec profit la marche sur les eaux : je marche sur les difficultés et traverse les obstacles avec l’aide de Dieu. Et même la résurrection, sion accepte de ne pas la lire comme un récit historique et matériel devient crédible : c’est une expression imagée pour dire que les disciples ont compris que la présence spirituelle de Jésus est toujours là et que par conséquent il n’est pas mort et qu’il est présent spirituellement.

  L’intérêt de la révélation biblique ne réside pas dans la dimension scientifique de son discours, mais dans ce qu’il nous dit à nous, en tant qu’êtres humains, sur notre façon de vivre.

  Il semble même qu’il n’y ait pas d’autre solution, fondamentalement, pour lire aujourd’hui l’Évangile. Aujourd’hui, il faut sortir du débat « libéraux » – « orthodoxes » et aborder les problèmes autrement. Il n’y a pas à tout prendre ou à tout laisser dans un texte, il faut faire la séparation entre ce qui est de l’ordre de la façon d’exprimer et ce qui est de l’ordre du contenu. Le seul avenir possible pour une prédication moderne c’est aujourd’hui la lecture symbolique de l’Écriture. Sinon on deviendrait une secte on se couperait du « bon sens » etde tous nos contemporain, en se définissant comme ceux qui, bizarrement croient encore dans des croyances de l’antiquité, évidemment fausses et absurdes et en totale contradiction avec le monde d’aujourd’hui (ce qui n’était pas le cas du temps de Jésus).

Crystal Cathedral, Garden Grove, Los Angeles, California, 1980, architectes : Philip Johnson with John Burgee  Finalement le problème est de savoir à quelles questions répond la religion. Quel est son sujet ? Et pour la Bible également, quand on la lit, qu’y cherchet- on ? Il ne faut pas demander à quelqu’un de donner quelque chose qui n’est pas de son métier : il le ferait mal. Il faut donc savoir quel est le sujet fondamental de la révélation biblique et ce que l’on attend de la religion. Ainsi, pourquoi s’adresse-t-on à un pasteur ? Pour un mal au dos est-ce lui qu’il faut aller voir, ou un médecin ? Du temps de Jésus, les choses n’étaient pas aussi distinctes, il n’y avait pas vraiment de médecins, et donc on allait voir un guérisseur, ou un homme de religion, mais aujourd’hui il ne faut pas tout mélanger.

  Ce que l’on doit demander essentiellement à la religion, c’est le spirituel, c’est-à-dire ce qui concerne notre expérience de vie en tant qu’être humain : tous les jours nous devons vivre et gérer un certain nombre de sentiments complexes de crainte, d’angoisse, d’espérance, de rapport à l’idéal, à un but, à une transcendance ; la religion est faite pour traiter ce genre de questions.

  C’est donc ce qu’il faut chercher dans la Bible, même dans les textes qui paraissent pourtant très simplement concrets et factuels. La seule possibilité est de lire la Bible en en faisant une lecture allégorique, spirituelle et symbolique. Jésus lui-même d’ailleurs n’a pas cessé de le faire, il parlait par images, et ne prétendait pas plus être un berger agriculteur qu’une lumière se comptant en kilowatts. Pourtant, on peut penser que Jésus luimême croyait vraiment qu’Adam et Ève avaient existé et que Moïse avait vraiment séparé la mer Rouge avec son bâton ; ou plutôt devrions-nous dire qu’il ne se posait pas la question puisque personne ne la posait.

  Mais peu importe, l’essentiel a toujours été de ne pas en rester au sens historique ou littéral. Cette première couche de lecture n’est de toute façon pas essentielle, et on peut la faire indifféremment de plusieurs manières, en fonction de sa culture et de sa mentalité. On peut très bien la lire aujourd’hui sans croire à Adam et Ève. Il peut y avoir une réinterprétation des textes et nous ne sommes pas obligés de croire à tout cela comme on y croyait il y a 2000 ans. On peut y croire avec notre esprit moderne et même, dans un tel esprit, il faut avoir suffisamment confiance dans la puissance, la force et la profondeur del’Évangile pour croire que cette réinterprétation laissera intact et sauf l’essentiel du message.

  Si la Bible peut continuer à être pertinente malgré les décalages, c’est qu’il y a quelque chose de constant ; malgré le fait que nous ne vivons ni ne pensons comme au temps de Jésus (nous nous habillons différemment, nous n’avons pas la même cosmologie, etc.) il y a une chose qui est constante qui est l’expérience humaine. C’est-à-dire l’expérience de ce que nous vivons et expérimentons en tant qu’êtres humains et qui est identique il y a 3000 ans et aujourd’hui, même si extérieurement tout notre environnement a changé. Quand quelqu’un perd un enfant, qu’il soit ouvrier, paysan ou PDG, qu’il soit américain ou pygmée ne change pas grand chose. L’angoisse devant la mort, la maladie, quel que soit le niveau social ou la fortune, est toujours la même. La difficulté de dire à quoi la vie nous mène est une constante fondamentale de l’humanité.

  Parmi les expériences les plus fondamentales de l’être humain il y a donc la confrontation avec la mort et le sens de la vie, mais aussi celle de l’échec et de la culpabilité, ce qu’autrefois on appelait le « péché ». Il y a aussi l’expérience de la transcendance, par laquelle l’on prend conscience, même si l’on est un peu matérialiste, que sa vie n’est pas la même chose que celle d’un rat d’égout et qu’il y a, en soi, quelque chose de « transcendant », c’est-à-dire quelque chose qui va au delà de la simple matérialité.

  Toutes ces questions sont fondamentales, universelles, intemporelles ; elles traversent les générations, les cultures et les époques. Or c’est de tout cela que nous parle la Bible. Ce qu’il faut lui demander, ce ne sont pas des messages scientifiques, c’est la réponse à de telles questions. Que me dit la Bible sur moi, sur mon expérience de vie, aujourd’hui et maintenant (hic et nunc) ?

  Peu importe donc de savoir si historiquement Jésus a marché sur les eaux, s’il a multiplié les pains, si son corps est ressuscité. Ce n’est pas là le problème. Le problème, c’est de savoir en quoi, moi, je peux en vivre aujourd’hui, ce que cela m’apporte, et ce que cela m’enseigne sur ceque je peux attendre de Dieu pour m’aider.

  En vérité, la Bible, en tant que livre de l’expérience humaine, est une livre étonnant qui a une profondeur extraordinaire quant à cette dimension. Elle parle de l’homme, et ce, d’une manière extrêmement profonde, complexe et vraie, à un point tel que les psychanalystes arrivent à faire des psychanalyses sur des passages bibliques. Chaque passage biblique a toute la profondeur d’un être humain. Ce n’est pas un livre qui essaie de nous expliquer gentiment ce que nous devons être, faire et croire, c’est un livre qui véhicule toute la profondeur de l’expérience humaine. Lorsqu’on le lit, on est plongé dans un livre qui vit.

  Il y a peu de textes capables de nous permettre de faire ce travail humain, et dans tous les cas, ce qui est fondamental, c’est de réinterpréter ces textes et de les réutiliser pour la qualité intemporelle qu’ils ont et ne pas s’attacher aux défauts contextuels.

  La religion n’est donc pas appelée à être une reconstitution historique. Il faut qu’il y ait un travail d’actualisation, d’adaptation. Faute de quoi la Parole véhiculée reste morte et ne peut être pour nous Parole de Dieu. De toute manière, on n’empêche pas le monde moderne d’avancer, quoi qu’en pensent les traditionalistes les plus enfoncés dans leur attachement littéral au passé. Le monde avancera, avec ou sans eux, avec ou sans nous.

  Donc, en tant que chrétiens, nous avons une seule chose à faire : nous adapter, accompagner le monde moderne et non le combattre. Le combattre ? C’est absurde et impossible, c’est voué à l’échec, et cela peut faire énormément de morts. C’est ce que fait Al-Kaïda. De toute manière, ce combat est perdu d’avance. Le monde moderne avance. Internet arrive dans les pays intégristes, qu’on le veuille ou non.

  Est-ce que nous, chrétiens, nous saurons, non pas prendre le train en marche, mais être dans le train et accompagner le monde moderne avec cette puissance de vie de l’Évangile ? Cela pourra être fait si nous savons le faire avec intelligence, comme je l’espère, même si ce n’est pas évident.

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À propos Louis Pernot

est pasteur de l’Église Protestante Unie de France à Paris (Étoile), et chargé de cours à l’Institut Protestant de Théologie de Paris.

Un commentaire

  1. stephane.feye@belgacom.net'

    Commençons par voir les Évangiles tels qu’ils sont.

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