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La Cerisaie de Tchekhov

Fraîchement accueillie par la critique et par une partie du public, La Cerisaie de Julie Brochen rompt heureusement avec l’académisme, revendiqué et splendide chez Alain Françon l’an dernier mais ailleurs souvent compassé et élégant, qui illustre le goût universel pour une âme russe désespérante et abattue, inaccessible aux vicissitudes contemporaines secouant le doux pays de Vladimir Poutine.

Il n’y a pas, dans la version offerte par la directrice du Théâtre national de Strasbourg, de volonté d’ancrer dans une relecture actualisée le chant funèbre vieux d’un siècle que Tchékhov, pour son ultime pièce et chef-d’œuvre, orchestre autour de la disparition d’un domaine, variation slave d’un Côté de Guermantes, portrait des époques finissantes qui meurent encore plus vite que les hommes occupés à y défendre un reste illusoire de vie et d’espoir. Mais les libertés que prend la metteur en scène en s’affranchissant des figures obligées de la représentation tchekhovienne bousculent nos repères comme autant de pétards lancés dans un bal de sous-préfecture. Dans cette Cerisaie là, on y braille un texte habituellement ciselé avec discernement et distance, on y chante des complaintes de music-hall, les êtres y sont incohérents, rebelles et égoïstes comme partout. Ce pourrait être une affaire de remembrement dans un bocage normand, de villa niçoise en indivision et l’ombre d’Octave Mirbeau, son verdict insolent sur la bourgeoisie, flottent au-dessus d’une nébuleuse de flandrins irresponsables et exaspérants qui nous ressemblent trop pour qu’on les méprise.

Le requiem d’une Russie à l’agonie s’évanouit ; c’est un espace sans frontières et sans identité, quasi inidentifiable, qui lui succède. Perdue l’arythmie de l’écriture de Tchekhov, gagnée la vérité crue du chagrin quand tout fout le camp : souvenirs, amours, enfance et la maison aux cerisiers, berceau des bonheurs sans retour. Le travail à haut risque de Julie Brochen offre bien des occasions intelligentes de se fâcher. Il divise, secoue et compromet le complexe édifice du dramaturge russe auquel nos cœurs et nos esprits tiennent tant. En tête de ce chahut, l’irremplaçable et dérangeante Jeanne Balibar qu’accompagne la puissance de Jean-Louis Coulloc’h forment un duo saisissant, entièrement antagoniste, éperdument entier.

La Cerisaie, mise en scène de Julie Brochen, avec Jeanne Balibar et Jean-Louis Coulloc’h, Théâtre national de l’Odéon jusqu’au 24 octobre, www.theatre-odeon.fr.

 

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À propos Thierry Jopeck

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