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Christ : unité de Dieu et de l’homme ?

Si Dieu est « le tout-autre », l’inaccessible, quelle peuvent être la relation et la communication entre l’homme et Dieu ? Michel Leconte présente Jésus comme un médiateur qui unit l’homme et Dieu.

  La pensée philosophique et théologique a beaucoup affirmé l’altérité de Dieu face à l’homme à tel point qu’il n’y aurait aucune mesure entre eux. Cette différence de nature est encore accentuée par cette conception qui insiste sur la transcendance de Dieu et en fait un être distinct et séparé, bien au-dessus des hommes selon un schéma de pensée dualiste de la Réalité. Entre Dieu et l’homme, il ne peut y avoir, en conséquence, qu’un gouffre infranchissable. Le judaïsme d’après le second temple et, plus encore, l’islam me semblent partager cette conception de la divinité : c’est le Dieu tout-puissant, tout autre, qui règne « au plus haut des cieux » dans une transcendance impénétrable, insondable et inaccessible à nous pauvres humains. La majesté de ce Seigneur dominateur est écrasante ; les gens du Moyen Âge préféraient déjà prier Marie ; les hommes émancipés du monde moderne, outre qu’ils ne trouvent pas ce Dieu crédible, s’en détournent. La figure du Christ me paraît démentir cette conception antinomique de Dieu et de l’humain.

  Lorsque Dieu est ainsi conçu comme un être objectivé et tout-puissant, tel Zeus au sommet de l’Olympe et comme l’insaisissable Absolu, Seigneur des mondes, Jésus peut difficilement être pensé comme la révélation humaine de Dieu : que pourrait-il bien y avoir de commun entre cette divinité et cet homme galiléen du temps de l’empereur Tibère ? De là découlent les débats sans fin pour savoir si Jésus est bien l’icône de Dieu, ou bien, seulement un homme, certes remarquable, mais un homme comme nous. Tout au plus, on le dira prophète, ou encore un homme choisi par Dieu, ou son lieu-tenant humain, rien qu’humain. L’enjeu, dans ce débat, est de savoir quelle relation l’homme peut entretenir avec la divinité. Car si Dieu et l’homme sont si vertigineusement différents, comment peuvent-ils établir entre eux une vraie relation ? Ne risque-t-elle pas d’être déséquilibrée, altérée en profondeur ? Devant la majesté et la toute-puissance, l’homme ne devra-t-il pas se soumettre, jusqu’à s’anéantir lui-même ? Face à cette aveuglante plénitude, comment subsister ? Et comment l’homme moderne n’entreprendrait-il pas une lutte à mort contre ce Dieu hétéronome, afin d’exister et d’être sujet, responsable de ses actes ?

  En outre, il est dangereux pour l’homme, à la suite de Jésus, de se penser fils de Dieu, destiné à partager cette « nature divine » dans la vie éternelle. L’homme se voyant appelé à une telle divinisation risque de ne concevoir que mépris et honte vis-à-vis de sa condition humaine sujette à la faute, à la différence des sexes et à la mort. C’est là, dans un tel scénario, me semble-t-il, le Péché exposé dans le récit de la Genèse qui, toujours, guette l’homme : vouloir devenir comme des dieux possédant la complétude imaginaire. Ce scénario et la conception de Dieu qui le soutient est révélateur du désir de toute-puissance et de la mégalomanie du désir à l’oeuvre chez l’homme : s’emparer des privilèges du père comme en témoignent les avatars du complexe d’OEdipe. Dieu n’est pas ce dieu, sa promesse vis-à-vis de l’homme n’est pas celle-là.

  Dans la Bible, Dieu apparaît d’abord comme celui qui fait alliance avec l’homme ; il s’y révèle fondamentalement relationnel. Il y a entre Dieu et l’homme quelque chose de commun qui permet leur rapport : l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1,27). Par ailleurs, la croix me semble contredire radicalement l’idée d’un Dieu omnipotent quiimposerait sa volonté aux hommes ; en crucifiant son envoyé, les hommes lui opposent un refus catégorique. La résurrection n’est pas un coup de force. La puissance de Dieu qui s’y manifeste est justement liée à la relation : Dieu ne contraint pas, il veut susciter notre libre adhésion, il respecte notre autonomie.

  Dieu n’est pas à chercher dans un ciel imaginaire, il est au centre de la réalité. Il n’occupe pas toute la place, mais il est la raison interne de tout ce qui existe, la dimension inconditionnée de l’homme et de l’univers, comme le dit Paul Tillich (1886-1965), la puissance persuasive et créatrice du monde. Dieu n’est plus un secteur particulier de la vie ; il lui confère, au contraire, une profondeur inépuisable. La différence entre Dieu et le monde ne doit pas cacher l’unité fondamentale de la Réalité. Dieu n’est ni le même (panthéisme), ni l’autre (dualisme), mais un pôle constitutif de la réalité qui parle en nous. N’est-ce pas ce que nous pouvons découvrir dans la manifestation de Dieu apparue en Jésus reconnu comme le Christ ? Dieu s’y dévoile, en effet, dans la vie et l’histoire concrète d’un homme. La différence entre Dieu et l’homme Jésus n’exclut pas la relation ; bien au contraire, celle-ci se manifeste d’une manière éclatante en l’homme de Nazareth. Dieu n’est pas Jésus, et Jésus n’est pas Dieu ; l’absolu, l’infini, n’y est pas vu en lui-même. Toutefois la transcendance de Dieu n’y apparaît pas si grande qu’elle rendrait toute relation impossible ; au contraire, elle semble se préoccuper plutôt que l’homme ne soit pas hors de son atteinte. Dieu se rend présent en l’humanité même du Christ au plus près possible, en cet homme qui, dans la foi, s’est compris lui-même comme aimé-de-Dieu. La relation à celui qu’il appelle son Abba (Père, Papa) et qu’il prie, fait de lui l’image du Dieu invisible (Col 1,15).

  Il me semble alors possible d’affirmer qu’en Jésus, Dieu est présent « avec une intensité d’exception » (Stanislas Breton, 1912-2005). Jésus est porteur de Dieu par son Esprit qui agit à travers lui, auquel il est pleinement ouvert. Dieu et l’homme ne sont pas en lui deux natures distinctes quoique réunies, ainsi que l’affirment les conciles de Nicée en 325 et de Chalcédoine en 451 au sujet de Jésus-Christ : Jésus n’est pas une exception d’être surnaturelle, ou bien il n’a rien à voir avec nous ; nous avons potentiellement la même possibilité d’existence. Dieu et l’homme ne font pas nombre : « Je ne serais pas, si je n’étais en toi, de qui, par qui, en qui sont toutes choses », écrit Augustin (354-430) dans ses Confessions. Dieu est la dimension de profondeur de l’humain, le dynamisme créateur qui nous porte et nous fait progresser, aller de l’avant. « C’est en Lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être car nous sommes de sa race », comme le dit saint Paul aux philosophes d’Athènes (Ac 17,28). Le Christ manifeste cette unité éternelle de Dieu et de l’homme ; aussi nous estil permis de voir en Jésus, simultanément, le symbole suprême de Dieu et l’être humain nouveau. En Christ, apparaît l’homme accompli parce qu’existentiellement uni avec la source de son être. La puissance divine qui transparaît en lui n’est pas écrasante ; elle porte son humanité contingente et mortelle à sa perfection. Dieu n’a pas peur de notre souffrance, que nous soyons mortels ; nous n’avons pas à avoir honte de ce que nous sommes : des hommes. En Christ, désormais, nous savons qu’il y a en l’homme plus que l’homme, notre identité est porteuse de l’altérité de Dieu : « L’homme passe infiniment l’homme. » (Blaise Pascal, 1623-1662) La métaphore de la filiation divine de Jésus, et le symbole de l’incarnation de Dieu expriment, quoiqu’en termes mythologiques pour l’homme d’aujourd’hui, le mystère de l’unité relationnelle de Dieu et de l’homme qu’est l’amour.

  Dieu n’est pas cet être absolu que nous imaginons. Tout ce qu’il faut savoir sur Dieu est maintenant connaissable dans la rencontre avec ce Fils qui nous révèle pleinement l’amour de son Père (Jn 1,18 ; 3,16-18). Dieu se manifeste dans « ce murmure d’un souffle léger » (1 R 19,12) qui nous régénère, nous accepte tels que nous sommes et nous fait naître à nouveau. Apparaît alors l’homme voulu par Dieu : ressuscité. Cet homme, ce peut être déjà chacun de nous, quand nous parvenons à nous ouvrir, grâce à la puissance du Christ, à cette réalité plus intime à nous-même que nous-même : cette étincelle divine cachée au plus intime de notre âme. (Voir à ce sujet Maître Eckhart, 1260-1327.)

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À propos Michel Leconte

né en avril 1949. Diplômé de l’École de Psychologue Praticien en psychopathologie clinique, formé à la psychanalyse. Il a exercé son métier dans la Marine Nationale. D’origine catholique, il a re- joint l’ERF et son courant libéral en 1989.

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