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Adagio [Mitterrand, le secret et la mort] d’Olivier Py

On connaît le goût parfois baroque d’Olivier Py pour une langue surabondante dont il orne ses œuvres propres. La surprise est d’autant plus grande de le voir signer ici un texte épuré, presque économe, campé sur les écrits et discours de François Mitterrand durant ses deux septennats. Sa création de dramaturge s’est obligée avec une élégance discrète et pertinente à concevoir les moyens littéraires et scéniques d’une appropriation par tous, en deux heures et trente minutes, d’une pensée qu’on dit florentine et dont il démontre, malgré ou à cause de son goût du secret et du calcul, le raffinement et l’élévation d’esprit.

  Le risque du portrait charge comme celui de l’hagiographie constituaient deux périls quasi impossibles à éviter tant le personnage du Président Mitterrand a déclenché de passions idolâtres et de détestations forcenées. Olivier Py les contourne avec une hauteur de vue qui égale celle de son personnage face à la mort. Car c’est bien d’elle dont il est question sans cesse, et de son dialogue avec un chef d’Etat qu’elle visite dès son élection par l’annonce d’un cancer, déjà avancé, pour lequel les pronostics sont alarmants. Quatorze années de pouvoir où se trament des révolutions de palais et des réformes fondamentales de la société française, un règne ponctué de complots, de reniements, de morts violentes comme une chronique des Tudor ou des Valois. Quatorze années d’un parcours de gouvernant subtil, intrigant, énigmatique jusqu’à l’indéchiffrable, séducteur et philosophe, bâtisseur pensif.

  Ce personnage de roman, homme politique pour son malheur intime, en quête à jamais insatisfaite de littérature et de création, Philippe Girard en est l’interprète éblouissant, lui aussi inattendu, qui restitue sans jamais imiter ni parodier, la scansion du verbe mitterrandien, les gestes véloces des mains qui savaient exprimer le mépris comme elles rythmaient la parole fastueuse du monarque. La scénographie que signe Pierre-André Weitz organise au sommet d’un escalier venu de la Bibliothèque nationale de France ou de l’Arche de la Défense, deux des grands travaux du Président, la procession oppressante des faits, l’intransigeance du temps qui passe, la familiarité insupportable de la mort. De Philip Glass à Bach, de Chostakovitch à Samuel Barber, le Quatuor Leonis construit en scène l’espace sonore de cette observation recueillie du pouvoir. Olivier Py ne dévoile aucun secret, aucune interprétation novatrice d’une carrière politique qui dura 50 ans. Il fait bien davantage, fondamentalement plus grave, et qu’on ose peu dans le théâtre contemporain : il interroge un mort considérable sur le métier mystérieux de gouverner les peuples comme sur celui si définitivement imparfait de se gouverner soi-même.

Adagio [Mitterrand, le secret et la mort] d’Olivier Py, avec Philippe Girard, Elizabeth Mazev, Jean-Marie Winling, Théâtre national de l’Odéon, jusqu’au 10 avril, www.theatre-odeon.fr

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À propos Thierry Jopeck

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