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Comment Dieu agit dans le monde ?

Comment Dieu agit dans le monde ?
Centenaire d’Evangile et Liberté
Foyer de l’Ame 25 janvier 2013
Louis Pernot

Comment Dieu agit-il dans le monde ? La plupart de notre contemporains ont à cette question une réponse un peu floue variant entre deux positions tranchées : celle des naïfs qui pensent que Dieu peut tout faire comme il veut, et même des miracles, et celle des sceptiques qui pensent que Dieu n’agit pas matériellement dans le monde. Mais ces derniers peuvent-ils encore être qualifiés de croyants ? Un Dieu qui ne fait rien est-il encore Dieu ?
Il faut donc aborder la question de front : Dieu agit-il dans le monde, et si oui, de quelle manière ? On ne peut, en effet faire l’économie de cette deuxième question, le monde a un mode de fonctionnement décrit par la science, et si Dieu agit dans le monde, il faut bien qu’il ait alors un rapport avec la science et que l’action de Dieu puisse trouver sa place dans les équations scientifiques. C’est là que commencent les difficultés, parce que le propre d’une expérience scientifique, c’est d’être répétable, et ce avec des résultats identiques. Or on n’a a jamais mis en avant une expérience scientifique qui donnerait des résultats différents suivant qu’il y a dans la salle quelqu’un qui prie ou non. Il faut bien dire donc que l’idée que Dieu intervienne matériellement dans le monde est bien difficile à croire ou à intégrer dans une pensée moderne et rationnelle.
D’où la tendance actuelle qui est de séparer les domaines : il y a celui du matériel et celui du spirituel. Le domaine matériel, c’est celui de la science, et le domaine du spirituel, c’est celui de Dieu, ou de la foi. Confusément, beaucoup de chrétiens font ainsi, en particulier quand on dit qu’il ne faut pas prier pour les choses matérielles, on enseigne bien aux enfants, qu’il ne faut pas demander à Dieu le beau temps pour le week-end, ou de réparer un jouet cassé, et qu’il faut réserver la prière aux choses de l’esprit. Quand on sépare ainsi les domaines, il n’y a plus de risque de confrontation, chacun dans son coin, chacun dans son domaine, et le scientifique croyant dira : « quand j’entre dans mon oratoire, je quitte mon laboratoire » pour être sûr de n’être pas confronté à des contradictions entre sa foi et sa raison.
Mais implicitement, cela revient à dire que Dieu n’agit pas dans le monde matériel, et donc qu’il n’aurait aucun lien avec le monde, et cela serait enlever beaucoup à Dieu ou à la foi. La science, en effet est la description du monde pysique et de son comportement. Or si l’on croit que Dieu a créé le monde, il faut bien expliquer comment, et si l’on croit qu’il peut agir dans ce monde aujourd’hui, alors il faut pouvoir dire avec la science où et comment il agit sur cette matière, dans ce monde physique que nous connaissons de mieux en mieux. La confrontation avec la science ne semble donc pas évitable, et c’est difficile, parce qu’il n’y a pas beaucoup de place pour Dieu dans les équations de la Relativité !

Du point de vue de la théologie, il y a plusieurs manières de résoudre la difficulté.
La première, évidemment, nous l’avons évoquée, et il ne faut pas l’évincer trop vite, c’est de prôner une séparation radicale. Dieu est spirituel, et le monde physique est matériel. Et si il n’y a aucun contact, aucun lien entre les deux domaines, c’est que Dieu cesse d’être vu comme créateur ou agissant matériellement pour devenir simplement un idéal moral, un absolu immatériel, une idée qui peut aider les hommes a vivre ou à orienter leur vie, mais qui n’agit pas. C’est ainsi que certains chrétiens comprennent l’affirmation « Dieu est amour », non pas en ce qu’il serait une puissance d’amour, mais en ce qu’ils font de l’amour, de la notion d’amour, leur Dieu, leur absolu, l’idéal de leur vie. C’est le Dieu d’Aristote qui est le Bien, le Bon, le Beau et le Vrai. Cela n’est pas absurde, pas faux, celui qui prend comme idéal divin les idéaux de l’Evangile peut même, à bon droit, être qualifié de chrétien, mais c’est tout de même une image dégradée de Dieu qui est là, et donc on peut ne pas vouloir se satisfaire.

On peut alors aller plus loin et dire que Dieu n’agit pas dans le monde matériel, mais dans l’homme seulement. Et comme l’homme est compliqué, il y a encore du temps avant qu’une science montre que ce n’est pas possible. Il s’agit dans ce sens de s’intéresser non pas tellement à Dieu qui est une notion compliquée, mais à la foi, au sentiment religieux. Voilà quelque chose d’observable, même scientifiquement : partout dans le monde, dans toute les civilisations, et de tout temps, depuis que l’homme est homme, il y a des individus qui ont un sentiment religieux. Or ce sentiment qui est une composante de l’humanité, est une force extraordinaire de transformation de l’individu, et par là de la société, et même du monde entier. La foi peut en effet être très puissante pour l’homme, elle peut changer sa vie, faire donner même sa propre vie, faire qu’il se relève alors que tous le disaient perdus, qu’il abandonne tout pour aller agir à l’autre bout du monde, qu’il construire des églises, des œuvres extraordinaires. Cette foi a même transformé l’humanité, et même le paysage concret d’un pays comme la France qui est marqué par ces milliers d’Eglises et de clochers dans chaque village.
On peut appeler « Dieu » l’objet de ce sentiment religieux, il n’y a pas en effet dans l’homme de sentiment ou de désir qui n’ait pas d’objet. Et la preuve que cet objet existe, c’est que ce sentiment est efficace. S’il n’était qu’une projection de désirs, une sorte d’auto persuasion, la foi serait aussi inefficace que la méthode Coué. Il n’y a pas de monastères « Coué » de gens qui répéteraient jour et nuit : « je vais bien, tout va bien », justement parce que la méthode Coué est inefficace et ne repose sur aucune force réelle venant de l’extérieur. Comme l’a montré Thomas d’Aquin, une chose ne peut se transformer elle-même, et ne peut être transformée que si une autre la transforme, et si l’homme est vraiment transformé par la foi, c’est qu’il y a en elle un principe actif et transformateur (C’est la prima via des cinq preuves de l’existence de Dieu).
On peut donc penser que la foi est la manière par laquelle une puissance cosmique appelée Dieu intervient dans le monde en transformant l’homme de l’intérieur. On peut alors dire que Dieu agit dans le monde, mais ce serait seulement par l’intermédiaire des croyants qui seraient comme le bras armé de Dieu pour agir matériellement dans le monde. Cela pourrait aller dans le sens de Paul qui dit que nous sommes « le corps du Christ ». Le corps, c’est ce qui permet d’agir concrètement, or Jésus après sa mort n’a plus de corps physique, il ne peut donc plus agir matériellement, ni guérir, ni soulager les souffrances, ni prêcher la bonne nouvelle. C’est donc à nous de le faire désormais. Dieu peut agir par le croyant. Ainsi comment Dieu peut-il agir pour supprimer les famines dans le monde, faire reculer les maladies effroyables, ou les effets des catastrophes naturelles ? En suscitant des personnes responsables, des médecins, des missionnaires, des ingénieurs, des prédicateurs qui s’engageront pour cela par leur foi au nom de leur Dieu d’amour et de paix.
Dans cette optique, alors Dieu n’agit vraiment que dans l’homme. Et l’objet de la prière n’est que de lui demander la foi, l’intelligence, la force de l’engagement, de grandir dans l’amour, mais il serait absurde de prier pour quelqu’un au loin. Quand à la guérison physique, tant de maladies ont des composantes psychosomatiques plus ou moins importantes, qu’on peut bien penser que le spirituel puisse avoir un effet sur la santé physique, mais seulement par ce truchement.

On peut se demander enfin donc si il est vraiment impensable que Dieu agisse directement dans le monde matériel. C’est complexe, parce qu’on peut bien croire que le monde est régi par des lois intangibles, et même Dieu ne peut pas faire que tout à coup le nombre p (Pi) vaille autre chose, ou que la constante gravitationnelle, ou la vitesse de la lumière soient modifiées. De toute façon, comme l’a dit Paul Tillich, si Dieu voulait tout à coup contrevenir aux lois physiques, il se contredirait lui-même puisqu’il en est l’auteur, et ferait œuvre démoniaque.
Et puis l’histoire rend le théologien méfiant. La religion a toujours eu tendance à glisser Dieu dans tout ce que la science ne parvenait pas à expliquer. Or la science progressant, on explique de plus en plus de choses, et la religion finit par ressembler à ces pauvres ours blancs condamnés sur une banquise qui se réduit de plus en plus et fond jusqu’à disparaître en les condamnant. Ainsi attribuait-on autrefois à Dieu le mouvement des astres, la fécondité des femmes, les orages, les tempêtes, les sécheresses et toutes choses un peu incompréhensibles. Aujourd’hui, on connaît le fonctionnement de la météo, et on n’a pas besoin de Dieu, on sait comment fonctionne la fécondité humaine, et à part certains réactionnaires, on ne dit plus qu’il faudrait « accueillir tous les enfants que Dieu enverrait » comme si Dieu avait à voir avec la fécondité ou la non fécondité d’un couple.
Alors quelle place peut encore laisser la science à Dieu ?
La tentation a été un temps de s’emparer de la question du commencement de l’Univers, de le mettre à l’origine du monde, dans le « Big Bang » en quelque sorte. L’idée n’est pas mauvaise, l’origine de l’Univers est quelque chose de très difficile à concevoir, et qui reste une sorte de mystère pour la science. Les physiciens de la Relativité disent qu’on ne peut pas remonter au delà du temps de Planck (10-43s), alors si il y a un mystère on veut y mettre Dieu (encore que cela ne lui laisse pas beaucoup de place !). Ou alors encore, on voudra le mettre avant le commencement, puisque les physiciens disent qu’on ne peut pas parler physiquement du temps d’avant le commencement. Mais cette démarche est dangereuse, et de toute façon non pertinente. Elle est dangereuse, parce qu’il n’est pas évident que la notion de « Big Bang » résiste, ni celle de commencement dans l’Univers, la science dira peut être un jour qu’il est en fait éternel, qui sait ? Et d’autre part, vouloir cantonner Dieu dans le commencement de l’Univers est avoir une démarche fondamentalement déiste : un Dieu qui crée et qui ensuite ne ferait plus rien n’est pas un Dieu qui nous intéresse, ni même un Dieu chrétien. L’Evangile et ce que nous prêchons, c’est le « théisme », Dieu est créateur, sans doute, mais c’est sans grande importance, l’essentiel, c’est qu’aujourd’hui encore nous croyons qu’il est à l’œuvre, qu’il continue d’agir et de créer.
Pour aujourd’hui donc, la place de l’action de Dieu dans le monde d’un point de vue scientifique ne peut se trouver que dans les « trous » de la science, dans ce qui n’est précisément pas défini, verrouillé par les lois physiques. Autrefois, ces trous étaient des manques de connaissance qui se sont comblés progressivement, aujourd’hui, nous avons une chance extraordinaire qui est que la science intègre et admet elle-même qu’elle ne peut pas rendre compte de tout, elle admet ses propres manques et que des domaines lui échappent. C’est n’est plus un manque de connaissance, mais quelques choses dans l’univers qui ne serait pas régi par une loi physique.
Cela est bien connu maintenant, et on le voit en particulier apparaître dans ce qu’on appelle l’indétermination de Heisenberg. Ce n’est pas qu’il y ait quelque chose qu’on ne sache pas encore connaître, mais qu’il y a dans la matière de l’indéterminé, autrement dit une sorte de degré de liberté. On sort ainsi enfin de l’a priori déterministe qui a dominé jusqu’au début du XXe siècle faisant croire que tout le comportement de la matière pouvait être connu et prévisible par des lois qu’il suffisait d’apprendre à connaître. Le futur ainsi défini par la science est comme fondamentalement imprévisible et ouvert, tout système peut évoluer dans un sens ou dans un autre avec une certaine marge d’indétermination. Or ces indéterminations microscopiques, à la longue peuvent avoir des conséquences macroscopiques, par des effet dissipatifs, ou de bifurcation, tout est une question de temps.
Donc dans le cours du monde physique, il y a une part de hasard, en soi, le hasard n’est pas créateur, parce qui se fait une fois dans un sens peut se faire ensuite dans l’autre. Et l’on voit que l’apparition de notre monde physique et son évolution s’est faite précisément parce que l’équilibre du hasard n’a pas été parfaitement respecté. On peut penser ainsi qu’il y a dans le monde un dynamisme créateur qui joue avec le hasard, le poussant toujours dans un sens constant. C’est je crois la seule manière aujourd’hui de concevoir une action possible créatrice dans le monde
Einstein qui était déterministe et n’aimait pas la mécanique quantique et sa notion de hasard et de probabilités, il disait : « Dieu ne joue pas aux dés ». Moi je crois que Dieu ne joue pas aux dés, il triche !. Il pipe les dés et influence influe sur le hasard jusqu’à faire en sorte qu’à la longue un sens apparaisse.
Le Dieu créateur est donc un souffle qui pousse le monde matériel à dériver progressivement, dans le total respect des lois physique, dans un sens déterminé. Cette action est bien sûr longue, et il a fallu presque 15 milliards d’années pour parvenir à ce que nous connaissons. Il faut dire que dans le monde matériel, les degrés de libertés sont très faibles, du coup l’action de Dieu dans le monde matériel est sans doute réelle, mais elle est tellement lente qu’elle devient imperceptible à l’échelle de la vie humaine, et vue de notre petite vie je crois bien que tout se passe comme si Dieu n’agissait pas dans le monde.
Mais il y a un autre élément de l’Univers qui est plus complexe : l’homme. L’homme est un système physique infiniment complexe et qui possède un degré d’indétermination et de liberté infiniment plus important que la matière inerte. Là l’action de ce dynamisme créateur peut tout-à-coup se faire sentir d’une manière beaucoup plus efficace. L’homme est un système fondamentalement instable, il peut se changer, il peut se transformer, il peut devenir ceci ou cela dans un temps relativement court, et je crois que par son intelligence, par sa sensibilité, l’homme est un récepteur particulièrement sensible à la puissance évolutrice ou créatrice de Dieu, il est comme un amplificateur de son influence, et en lui Dieu peut agir directement, visiblement et fortement. Ceux qui ressentent cette action du dynamisme créateur de Dieu en eux appellent cela la foi, ou le sentiment religieux, c’est cette force de transformation divine à l’œuvre dans l’homme.
Mais tous ne sont pas aussi sensibles à cela, heureusement, certains le sont pour d’autres. C’est ainsi qu’on peut comprendre la personne du Christ : homme d’une sensibilité extraordinaire à cette puissance divine, comme mu et transformé de l’intérieur par ce Dieu à l’œuvre dans le monde, il a heureusement exprimé pour les autres ce qu’il avait ressenti et compris. Ainsi, l’Evangile est le sens de ce dynamisme créateur, ce que l’on pourrait appeler métaphoriquement la volonté de Dieu pour l’homme, le sens de la création dans laquelle l’homme peut s’engager pour continuer à avancer dans l’évolution positive de l’Univers vers un Univers meilleur.
Ainsi Dieu agit de l’intérieur dans l’homme, et encore d’une manière extérieure par un contenu compris comme une révélation qui peut être reçu non plus seulement dans la sensibilité, mais aussi dans l’intelligence.
Et par l’homme, l’action créatrice de Dieu peut devenir infiniment plus rapide, plus efficace, passant de l’échelle du milliard d’année, à celle du siècle, voire même peut être de la décennie. Il y a par nous une action de plus en plus visible et possible de Dieu dans le monde, une accélération de la création, pourvu que nous voulions bien y consentir.

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